dimanche 9 mai 2010

Le Noeud Gordien, Épisode 119 : Ne rien promettre


Le temps était froid, mais l’air piquant n’était animé d’aucun mouvement; ces moments où le climat se faisait moins hostile rendaient la saison presque agréable pour Loren Polkinghorne, pourtant habitué à des hivers beaucoup plus doux… Mais la brusque tombée de la nuit à l’heure du thé continuait à le surprendre.
Il marchait dans les rues de La Cité qu’il connaissait de mieux en mieux. Sa destination : l’église abandonnée où Gordon et Avramopoulos allaient se livrer au troisième tour de leur joute. Si son maître gagnait une fois de plus, ce serait au tour des lieutenants d’agir – son tour… 
Soudainement, quelqu’un fit « Psssss! » dans son oreille pour attirer son attention.
Surpris, il sursauta et se retourna prestement. La surprise fit place au ravissement en y découvrant Félicia Lytvyn. Ils ne s’étaient pas revus depuis qu’elle avait quitté le vieux continent; ils s’étreignirent en riant.
« Lytvyn! Eh bien! Tu n’as pas chômé depuis notre dernière rencontre, si tu réussis à me trouver alors que j’ai voilé ma présence… »
Elle planta son index dans le ventre gras mais ferme de Polkinghorne. « Et toi, tu ramollis si je suis capable non seulement de te trouver, mais de te surprendre! 
— Pfff, je ne suis pas le meilleur pour ces trucs-là… Essaie avec Hoshmand, je te parie ce que tu veux que tu ne le verras jamais à moins qu’il ne le permette… Mais c’est vrai qu’Espinosa n’est pas loin derrière… Tu vas à une bonne école : j’ai même entendu dire qu’il s’était rendu face-à-face avec Gordon, chez Gordon, sans même qu’il sache qu’il était l’un des nôtres!
— C’est absolument vrai », répondit Félicia d’un ton tout empreint de sa fierté pour son amour et maître. Mais sa fierté était teintée d’une pointe d’amertume ancrée dans ce doute qui l’avait amenée à chercher Polkinghorne.
« Je voudrais te demander une faveur… »
Polkinghorne redevint  instantanément sérieux, presque grave. Félicia ne portait pas le pourpre : elle ne pouvait prendre part directement à la Joute — à moins qu’elle soit désignée pion. Que ce soit le cas ou non, en temps de Joute, une faveur demandée ou offerte ne pouvait être prise à la légère.
Circonspect, il demanda : « Que veux-tu de moi? » Félicia sortit un emballage de son sac. Il contenait trois morceaux de chocolat noir d’apparence très appétissante. Elle le lui tendit en disant : « Je veux savoir s’ils ont été trafiqués et si c’est le cas, dans quel but.
— D’où viennent-ils? »
Félicia haussa les épaules. « Est-ce que c’est important?
— Plus j’en sais, plus je saurai dans quelle direction chercher… 
— Espinosa », dit-elle sans donner plus de détail. Polkinghorne lui fit un large sourire. « Je suis très occupé ces temps-ci, alors… je préfère ne pas te promettre de faveur. Je vais voir ce que je peux faire, OK? »
Elle lui toucha le bras avec un sourire affectueux. « On se revoit bientôt alors? 
— Absolument! » Ils échangèrent leurs coordonnées et partirent dans des directions opposées.
Polkinghorne avait déjà une idée de ce qu’il trouverait dans ces chocolats, quoiqu’il ne le sache pas précisément… Il ne fallait pas être grand devin pour savoir que Félicia était amoureuse de son Maître. Mais comment aurait-elle pu l’être si elle avait su ce qu’Avramopoulos lui avait volé? À quel jeu jouait Espinosa?
Polkinghorne ferait les tests et découvrirait ce que ce chocolat avait de spécial. Il connaîtrait alors quelles étaient les intentions d’Espinosa. Il avait deviné que, peu importe ce qu’il allait trouver, il devrait mentir à Félicia… Il avait bien joué en refusant de faire de sa demande l’objet d’une vraie faveur. 

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