dimanche 26 septembre 2010

Le Noeud Gordien, épisode 139 : Punitions, 4e partie


Hoshmand observait la scène à l’écart, soucieux de ne rien manquer. Décidément, ce garçon ne finissait pas de le surprendre!
Le jeune Espinosa était assis au milieu du sofa. Eleftherios Avramopoulos se tenait devant lui les bras croisés, affichant un sourire que Hoshmand savait être faux. Hoshmand devinait que Gianfranco se débattait avec mille questions, qu’il devait être tendu comme un ressort, mais bien peu d’indices le montraient. Il contrôlait bien ses émotions : il avait bien retenu ses leçons.
Il vit Avramopoulos mettre la main dans sa poche pour toucher cette mystérieuse statuette qu’il portait en permanence. Hoshmand aurait donné beaucoup pour l’étudier, encore plus pour la posséder, mais aucune faveur n’aurait pu convaincre Avramopoulos de s’en départir, ne serait-ce qu’une journée. C’était un outil puissant qui lui permettait d’accomplir en quelques secondes ce qui, pour n’importe qui d’autre, aurait été un très long processus.
Avec l’autre main, l’homme toucha le front de Gianfranco. « À partir de ce moment et jusqu'à ce que je décide autrement, tu ne peux plus bouger, sauf la tête. Aussi, tu devras répondre à mes questions avec une sincérité totale, sans mensonge ni dissimulation. » Son sourire avait disparu.
Hoshmand vit la surprise puis la terreur transparaître sur le visage de Gianfranco alors qu’il réalisait qu’il lui était effectivement désormais impossible de se mouvoir.
Avramopoulos attendit quelques secondes; il paraissait savourer le désarroi du jeune homme. « Gianfranco, as-tu découvert quelque chose que tu n’aurais pas dû à propos de M. Hoshmand et moi?
— Oui », répondit-il sans hésitation. Il n’était plus maître de lui-même : la compulsion induite par la statuette choisissait à sa place la réponse la plus sincère.
« Et qu’as-tu donc découvert?
— Hoshmand et toi, vous êtes des tapettes. »
Avramopoulos et Hoshmand échangèrent un regard amusé… Ils ne s’étaient pas attendus à cette réponse! C’était probablement le moindre de leurs secrets. Hoshmand demanda : « Est-ce que je peux lui parler librement?
— Oui… Nous pourrons toujours effacer le souvenir ce soir ou demain.
— Gianfranco, m’as-tu observé pendant que j’étais dans la cabane? »
Gianfranco ne dit rien. Avramopoulos répéta la question; cette fois, il fut contraint de répondre. « Oui, depuis un moment déjà, plusieurs fois par semaine…
— Sais-tu ce que M. Hoshmand y fait?
— Il respire, il médite, il peint ou dessine des caractères.
— Sais-tu pourquoi?
— Non.  
— Pourquoi l’espionnes-tu alors?
— Parce que M. Hoshmand est tellement concentré sur son perfectionnement que toute chose pour laquelle il investit autant de temps doit être la plus importante entre toutes. » À voir les yeux écarquillés de Gianfranco, Hoshmand supposait que la compulsion avait forcé des mots sur ses motivations implicites; il n’y avait probablement jamais réfléchi en ces termes.
Hoshmand dit à Avramopoulos : « Il est normalement indétectable par acuité, mais aujourd’hui, lorsque je suis revenu à la ville, j’ai senti quelque chose… Extrêmement faible, mais le contraste était évident. Quelque chose s’est produit…
— Jeune homme, as-tu essayé de faire comme M. Hoshmand?
— Oui. Mais c’était la première fois! Je le jure!
— La première fois!? »
Gianfranco Espinosa était déjà une espèce rare : une personne sur dix mille, peut-être moins, pouvait passer naturellement dans les mailles de l’acuité.  Hoshmand était lui aussi du nombre. Mais qu’en plus, il obtienne des résultats instantanés… C’était à peu près inédit.
Avramopoulos dit : « Moi, je n’ai rien senti de différent. »
« Ces derniers mois, je travaille sur des variantes de la méditation du Troisième œil… S’il a porté le symbole sur le front, alors…
— …ce serait plus une question de résonnance par similitude qu’un effet réel », compléta le vieil homme. « N’empêche, il y a peut-être moyen d’exploiter cette résonnance… » Il fit une pause. Sans doute réfléchissait-il aux ramifications – et applications – de cette potentialité.
« Gianfranco, je t’ai demandé si tu savais pourquoi Hoshmand agit ainsi. Tu ne le sais pas, soit, mais qu’est-ce que tu penses?
— Je pense que c’est de la magie noire », répondit-il du tac au tac. Il n’y avait ni crainte ni méfiance dans son visage.
— Si c’est de la magie noire, pourquoi essayer de faire pareil?
— Parce que je veux être puissant… » Ses yeux brillaient d’une lueur que Hoshmand et  Avramopoulos interprétèrent sans peine : l’ambition…
Avramopoulos se tourna vers Hoshmand. « Si on l’initie, on risque de perdre l’atout qu’il représente et ce pour quoi nous le formons. »
Hoshmand haussa les épaules. La décision ne lui appartenait pas.
« Tu coucherais avec un homme, Gianfranco? Tu coucherais avec moi? »
Le nez du jeune homme se plissa de dégoût. « Tout mais pas ça! Vous êtes des pervers dégoûtants et je ne veux pas avoir le SIDA!
— NE PARLE PAS DE CE QUE TU NE SAIS PAS! », hurla Avramopoulos sans regard au fait que la réponse de Gianfranco avait été forcée par l’effet de la statuette. « TU NE SAIS RIEN! »
Il fit les trois pas qui le séparaient du jeune homme et le gifla énergiquement une fois, deux fois, trois fois, encore et encore. Toujours paralysé, Gianfranco tomba sur le côté sous les coups sans pouvoir réagir.
Hoshmand savait que s’il s’interposait, la fureur de son maître déferlerait sur lui aussi. Il essaya de créer diversion en commentant : « Hey! Il ne peut pas mentir et il a dit qu’il était prêt à tout… à une exception près. Prêt à tout! Il l’a dit! Il est sincère! »
Le souffle court, le vieil homme s’arrêta. Hoshmand profita de l’ouverture. Il se dépêcha d’ajouter : « Quelle meilleure garantie pouvons-nous avoir? Il est doué et prêt à tout… »
Gianfranco saignait du nez et de la lèvre, la joue collée aux coussins du sofa. En le redressant sur son siège, Hoshmand ajouta : « La façon dont vous vous êtes rencontrés… Le fait que ce soit à un jeune âge, comme moi… Le fait que son indiscrétion ait eu lieu justement un jour où vous êtes en ville… Et si tout ça était une longue manifestation synchrone? Tout nous a conduits à ce moment, non? »
Avramopoulos demeura un instant pensif, puis il s’accroupit jusqu’à être nez à nez avec le jeune homme. « Je t’ai forcé à obéir : tu as la preuve que je maîtrise des pouvoirs que bien peu d’autres hommes possèdent. Tu veux les posséder aussi? »
Un Gianfranco libre de ses paroles aurait peut-être répondu différemment;  sa réponse la plus sincère fut simplement : « Oui. 
— Voici mes conditions. Je t’enseignerai comme j’ai enseigné à mes initiés précédents. Je ne chercherai pas à te séduire ou à obtenir des faveurs de ta part. Outre ceci, tu devras accepter tout ce que je te demanderai. Tu as dit que tu étais prêt à tout, n’est-ce pas? Es-tu vraiment prêt à accepter ma volonté, quelle qu’elle soit? Me le promets-tu?
— Oui », répondit-il d’une voix traînante, les yeux défiants. Sa lèvre commençait à enfler.
« Je prends rarement des apprentis… Lorsque je le fais, je m’accommode mal de leurs réticences… Je vais déjà te faire goûter les conséquences de ta promesse. »
Avramopoulos marqua une pause dramatique.
« Si je ne peux pas t’avoir dans mon lit, personne d’autre ne le pourra. »

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