dimanche 11 septembre 2011

Le Noeud Gordien, épisode 187 : Les disciples, 10e partie

De toutes les opérations des derniers mois, celle de La Cité se distinguait. Chaque fois que Harré tentait de lire les augures à son propos, les résultats s’avéraient anémiques au mieux. En pénétrant dans la ville, il saisit immédiatement pourquoi. Le dernier Disciple avait compris que quelqu’un supprimait ses alliés; il avait dû également déduire que, s’il ne s’y préparait pas, le même sort l’attendait…
La Cité était toute plongée dans une sorte de bruine scintillante, invisible aux yeux de la plupart de ses habitants, mais dont le chatoiement venait troubler les sens surnaturels de Harré. Alors que, d’ordinaire, il pouvait littéralement trouver ses cibles où qu’elles fussent, ici, il était aussi démuni que le commun des mortels…
Harré était depuis un moment habitué de vivre avec une impression constante de déjà-vu, comme si le présent ravivait le souvenir d’événements qu’il n’avait pourtant pas encore vécus. La bruine invisible interférait jusqu’à cette impression. Le retour à une normalité étrangère depuis longtemps avait quelque chose de déconcertant… Mais pas complètement désagréable.
Il aurait sans doute pu trouver comment dissiper la bruine, mais il n’avait aucune intention de reporter l’exécution de son plan. Malgré son handicap perceptif, il disposait toujours de son immense talent; selon toute probabilité, il réussirait.
Il trouva sans peine le lieu de résidence de Narcisse Hill : tout le monde semblait savoir que leur ancien maire coulait ses vieux jours dans son domaine à l’ouest de La Cité. Harré s’y rendit à pied en sifflant, les mains dans les poches.
La maison Hill était une élégante bâtisse de style néo-Queen Anne sise au sommet d’une colline qui s’élevait en pente douce, assez haute pour offrir une vue magnifique sur le reste de la ville.
Harré continua son chemin jusqu’au bout de la route. Dès qu’il fut assez loin pour travailler à l’abri des regards, il traça sur le sol les symboles nécessaires à l’ouverture du cercle. Il ne manquait plus que le sacrifice d’un maître…
Harré fit apparaître la colonne de feu qui avait si efficacement appâté les autres Disciples.
Il attendit un moment, mais avec un accès réduit aux fruits de la  metascharfsinn pour le conforter dans son attente, il s’accommoda mal de l’inaction. Sa fébrilité coutumière eut tôt fait d’épuiser toute sa patience.
Après une cinquantaine de minutes, il décida que si Hill ne venait pas à lui, c’est lui qui irait à sa rencontre. Il dissipa son leurre et retourna à la maison Hill pour frapper simplement à la grande porte.
Un vieux domestique vint lui ouvrir. Il était chauve à l’exception d’une couronne de cheveux blancs; sa posture pleine de fierté indiquait sa position d’autorité dans la maisonnée.
« Bonjour », dit Harré avec entrain. « J’aimerais m’entretenir avec M. Hill d’affaires de la plus grande importance. »
Le majordome le toisa d’un regard sévère en haussant un sourcil broussailleux. « Et vous êtes? 
— Je… hum… Je suis un commerçant de… En fait, je suis un vieil ami. »
Le domestique semblait peu convaincu. Harré était habitué de se fier à son instinct, à suivre les pistes que son inconscient lui soufflait… Il n’avait pas prévu que les interférences mises en place par Hill lui nuiraient à ce point. Il devait déjà recourir à des manières moins subtiles; il en était à décider par quel processus il forcerait le domestique à obtempérer lorsque celui-ci fit un pas en arrière pour l’inviter à entrer.
Il conduisit le visiteur au salon et lui fit signe de s’asseoir avant de lui offrir un cigare. Harré en prit un mais choisit de rester debout. « Je vais aller chercher M. Hill », dit le serviteur avant de sortir en fermant les portes derrière lui.
Le cigare était d’excellente qualité; il en tira une longue bouffée en admirant par les grandes fenêtres les pignons de La Cité qu’on pouvait apercevoir au loin.
Il entendit la porte grincer; il se retourna, prêt à prendre contrôle de l’esprit de M. Hill pour compléter sa mission; il fut surpris de découvrir que le majordome était revenu,  seul mais armé d’une carabine.
Harré n’eut pas le temps d’agir; il sentit son corps être secoué, il entendit la poudre détonner, mais il lui fallut encore une seconde pour comprendre qu’on venait de le fusiller.

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