La metascharfsinn
était source de fascination infinie, d’autant plus depuis qu’il pouvait la
maintenir de façon quasi permanente. Le présent vu à travers cette lunette
recelait une infinité de germes qui pouvaient fleurir en futurs possibles;
lorsqu’il devinait la façon correcte d’agir ou de réagir, Harré pouvait décider
lesquels prendraient racine et lesquels seraient écartés.
Il lui arrivait de voir plus loin encore, jusqu’à
entr’apercevoir les fibres des futurs potentiels avant que certains d’entre eux
ne soient filés par le fuseau du présent… Il reconnaissait toute la sagesse des
anciens qui comprenaient que les ficelles du monde étaient tirées par les
Parques, les Moires ou les Nornes…
C’est en observant ces potentialités que Harré avait
découvert le fil rattaché à sa pièce maîtresse, à côté de laquelle le Grand
Œuvre apparaissait comme un bricolage naïf. Il était prêt à tout pour voir
émerger ce futur et nul autre.
C’est en vue de cet objectif qu’il s’était attaqué aux Disciples
Khuzaymah. Il avait bien choisi : ces initiés de bas étage ne détenaient
au total qu’une poignée de secrets, probablement tous déjà connus des Seize.
Malgré leur ignorance, ils avaient réussi à s’ingérer dans les affaires du
monde jusqu’à l’engouffrer tout entier dans la guerre. Ils avaient agi comme
des enfants jouant avec des allumettes; ils ne méritaient pas moins que le sort
qu’il leur promettait.
Un à un, ils étaient tombés; la mort de chacun contribuait à
remettre en marche ce que d’aucuns, en empruntant le lexique scientiste de la
modernité, appelaient les forces telluriques ou radiesthésiques.
Les énergies que Harré préférait appeler magiques.
Un peu comme un ouvrier déjà outillé peut plus facilement
façonner d’autres outils, à mesure que les maîtres mourraient et que leur mort ouvraient
des Cercles, il devenait de plus en plus facile de tuer d’autres maîtres et
d’ouvrir de nouveaux Cercles.
Il ne restait qu’un dernier Disciple de Khuzaymah. Un
dernier maître, un dernier Cercle, après quoi Harré se sentirait prêt à
s’attaquer au Collège, d’autant plus dangereux que ses membres s’avéraient
beaucoup plus instruits dans l’art occulte.
Durant ses jeunes années, Harré s’était rendu là où le train
le conduirait dans quelques heures… À l’époque, on n’y trouvait qu’une gare et
une poignée de fermiers. La bourgade avait crû à une vitesse phénoménale au
cours des quinze dernières années, jusqu'à devenir une métropole; Grandeville,
située non loin, était pour toujours condamnée à porter un nom rendu ironique
par La Cité qui l’éclipsait désormais.
Harré allait à la rencontre du fondateur et premier maire de
la ville, l’honorable Narcisse Hill.
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