Isabelle piqua prudemment le
poisson. La chair céda facilement sous la fourchette. « C’est…
spécial.
— Spécial-bon ou
spécial-spécial? »
Elle plissa le nez. « Spécial… genre
poisson-mangue-coriandre. Je savais que j’aurais dû poser mes questions au
serveur.
— Ahah! Ils sont là pour ça, tu
sais. Fallait pas être gênée.
— Éclectique je veux bien, mais me
semble qu’il y a des limites! Toi, ton steak?
— Excellent.
— Excellent-ça-vaut-son-prix ou
excellent-comme-celui-que-je-fais?
— Du steak c’est du steak. On paye
pour l’ambiance. Pour les loyers du Centre-Ouest. »
Chaque fois qu’ils partaient en
explorations hédonistes, ils ne pouvaient pas s’empêcher de se livrer au jeu de
la comparaison. D’un côté, il y avait les restaurants de leur patelin, qui
servaient des portions généreuses mais un menu convenu; de l’autre, ces
établissements snobinards de la grande ville qui offraient l’exotisme à un prix
scandaleux. Si Benoît préférait s’en tenir aux valeurs sûres, Isabelle
s’avérait un peu plus aventurière. Il fallait reconnaître qu’au fil des essais,
elle était ressortie avec plus de découvertes savoureuses que de plats… spéciaux, comme ce soir.
Ils pouvaient s’amuser de cette
relative déception, car cette dépense n’était, à tout prendre, qu’une broutille
dans leur budget annuel. Mais surtout, s’ils étaient réticents à se payer
quelque folie à l’occasion de leur dixième anniversaire de mariage, quand se le
permettraient-ils?
Isabelle mangea tout de même le
poisson en évitant soigneusement les garnitures. En remplissant son verre,
Benoît arriva au fond de la bouteille. Il suffit d’un geste pour que le serveur
comprenne son intention d’en ouvrir une autre. L’alcool déjà bu l’emplissait
d’une chaleur agréable. Soudainement inspiré, il dit à Isabelle :
« Donne-moi ta petite culotte.
— Quoi?
— Je sais que tu as compris.
— T’es fou!
— C’est pour ça que tu
m’aimes! » Le teint pâle d’Isabelle rendait encore plus manifeste son
rougissement. Quoiqu’il fût à peu près en friche depuis la naissance des enfants,
Benoît n’ignorait pas le côté exhibitionniste de sa femme.
Elle regarda à droite et à gauche,
puis se tortilla un instant sur sa chaise. Quelques secondes plus tard, elle
avança son poing fermé avec un sourire malicieux. Par quelque magie, elle avait
réussi sans qu’il ne voie quoi que ce soit de compromettant. Il prit le minuscule
vêtement, sincèrement impressionné.
Ni le temps, ni la familiarité, ni
la naissance des enfants n’avaient changé cet axiome dans la vie de
Benoît : il était tombé amoureux de la femme la plus sexy au monde.
Le serveur déboucha leur deuxième
bouteille. Benoît regretta presque de l’avoir commandée. Il lui tardait de plus
en plus de reconduire Isabelle à leur chambre d’hôtel… Il comptait la prendre
telle quelle, sans culotte dans sa petite robe, contre la fenêtre du
quarante-quatrième étage.
C’était peut-être fleur bleue de sa
part, mais il ne pouvait imaginer comme meilleur clou pour leurs noces d’étain
que de faire l’amour en surplomb des lumières de La Cité.
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