dimanche 27 mai 2012

Le Noeud Gordien, épisode 222 : Noces d’étain, 1re partie

« Et puis, comment tu trouves ça? », demanda Benoît à sa femme.
Isabelle piqua prudemment le poisson. La chair céda facilement sous la fourchette. « C’est… spécial. 
— Spécial-bon ou spécial-spécial? »
Elle plissa le nez. « Spécial… genre poisson-mangue-coriandre. Je savais que j’aurais dû poser mes questions au serveur.
— Ahah! Ils sont là pour ça, tu sais. Fallait pas être gênée.
— Éclectique je veux bien, mais me semble qu’il y a des limites! Toi, ton steak?
— Excellent. 
— Excellent-ça-vaut-son-prix ou excellent-comme-celui-que-je-fais?
— Du steak c’est du steak. On paye pour l’ambiance. Pour les loyers du Centre-Ouest. »
Chaque fois qu’ils partaient en explorations hédonistes, ils ne pouvaient pas s’empêcher de se livrer au jeu de la comparaison. D’un côté, il y avait les restaurants de leur patelin, qui servaient des portions généreuses mais un menu convenu; de l’autre, ces établissements snobinards de la grande ville qui offraient l’exotisme à un prix scandaleux. Si Benoît préférait s’en tenir aux valeurs sûres, Isabelle s’avérait un peu plus aventurière. Il fallait reconnaître qu’au fil des essais, elle était ressortie avec plus de découvertes savoureuses que de plats… spéciaux, comme ce soir.
Ils pouvaient s’amuser de cette relative déception, car cette dépense n’était, à tout prendre, qu’une broutille dans leur budget annuel. Mais surtout, s’ils étaient réticents à se payer quelque folie à l’occasion de leur dixième anniversaire de mariage, quand se le permettraient-ils?
Isabelle mangea tout de même le poisson en évitant soigneusement les garnitures. En remplissant son verre, Benoît arriva au fond de la bouteille. Il suffit d’un geste pour que le serveur comprenne son intention d’en ouvrir une autre. L’alcool déjà bu l’emplissait d’une chaleur agréable. Soudainement inspiré, il dit à Isabelle : « Donne-moi ta petite culotte.
— Quoi?
— Je sais que tu as compris.
— T’es fou!
— C’est pour ça que tu m’aimes! » Le teint pâle d’Isabelle rendait encore plus manifeste son rougissement. Quoiqu’il fût à peu près en friche depuis la naissance des enfants, Benoît n’ignorait pas le côté exhibitionniste de sa femme.
Elle regarda à droite et à gauche, puis se tortilla un instant sur sa chaise. Quelques secondes plus tard, elle avança son poing fermé avec un sourire malicieux. Par quelque magie, elle avait réussi sans qu’il ne voie quoi que ce soit de compromettant. Il prit le minuscule vêtement, sincèrement impressionné.
Ni le temps, ni la familiarité, ni la naissance des enfants n’avaient changé cet axiome dans la vie de Benoît : il était tombé amoureux de la femme la plus sexy au monde.
Le serveur déboucha leur deuxième bouteille. Benoît regretta presque de l’avoir commandée. Il lui tardait de plus en plus de reconduire Isabelle à leur chambre d’hôtel… Il comptait la prendre telle quelle, sans culotte dans sa petite robe, contre la fenêtre du quarante-quatrième étage.
C’était peut-être fleur bleue de sa part, mais il ne pouvait imaginer comme meilleur clou pour leurs noces d’étain que de faire l’amour en surplomb des lumières de La Cité.

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