Rem répondit : « On n’est
pas ici pour se poser des questions. »
« Sans joke, je comprends pas.
— Tu comprends jamais rien.
— Pis toi? Tu sais ce qu’on est
supposé faire?
— Tu le sais autant que moi. On doit
aller au Terminus Centre-Sud et trouver un gars qui s’appelle Timothée.
— Je veux dire, qu’est-ce que
le boss fait avec cette gang de losers?
— Ça, je ne le sais pas. Mais on a
une job à faire, on va la faire.
— J’aime pas ça, ici.
— Inquiète-toi pas. On a nos guns. »
Malgré son ton assuré, Rem non plus n’était
pas à l’aise. Personne n’aimait le
Centre-Sud.
En général, Rem se voyait comme un
guerrier. Il était barré d’une demi-douzaine de clubs pour s’être retrouvé mêlé
à une rixe, sans compter les fois où des mâles alpha ivres étaient venus lui
chercher des noises dans la rue, après la fermeture. Ceux-là l’avaient presque
tous regretté. Rem n’était jamais – enfin, presque
jamais – l’instigateur de ces batailles, mais l’idée de se battre ne le faisait
jamais reculer.
Dans le Centre-Sud, le guerrier se
trouvait toutefois en territoire ennemi. Ici, le concept éculé de jungle urbaine dépassait la métaphore
pour devenir une dure réalité. Partout, des types louches en grappes les
lorgnaient, peut-être en cherchant à évaluer dans quelle mesure ils avaient
affaire à des cibles faciles. En plus de ceux-là, Rem pressentait d’autres
présences malveillantes, animales, qui le voyaient sans être vues; elles se
manifestaient par des bruits indistincts, assez éloignés pour qu’on ne puisse
les situer… mais trop proches pour qu’on puisse les ignorer.
Au détour d’un boulevard criblé de
nids-de-poules, ils virent un essaim de charognards déguerpir en laissant
derrière le corps d’un homme qu’ils avaient battu et détroussé; la seule
protection du malheureux était qu’on ne pouvait plus lui enlever que la vie, et
celle-ci ne valait pas un sou. Il râlait et se tordait, le visage couvert de
sang, aussi impuissant qu’un nouveau-né. Rem et Djo passèrent leur chemin sans même
considérer l’approcher.
Ils aboutirent enfin au vieux
Terminus, autour duquel s’ébrouait une sorte de bazar où on ne troquait rien d’autre
que de la ferraille et des cochonneries qui, dans un autre quartier, auraient
été considérées comme autant de déchets. Les gens du coin étaient d’une autre
trempe que les prédateurs qu’ils avaient croisés durant leur marche jusqu’ici…
Du bétail, par comparaison.
Un jeune homme vint à leur
rencontre. « Je suis Timothée », dit-il simplement. « Merci d’être
là. » Il leur donna des instructions, comme prévu : Rem et Djo
devaient monter la garder en empêchant quiconque d’entrer au Terminus avant qu’ils
aient fini.
« Fini quoi? », demanda
Djo.
« Je viendrai vous le dire. N’hésitez
pas à tirer si quelqu’un essaie d’entrer, surtout s’il n’est pas du quartier. »
Rem acquiesça en se disant que ce Timothée lui-même se distinguait de la
racaille qui l’entourait.
Timothée s’aida de la statue
renversée devant l’entrée pour monter sur son piédestal. « C’est l’heure »,
cria-t-il à pleins poumons. Tous ceux qui traînaient autour du Terminus y
entrèrent tranquillement. Timothée ferma les portes derrière lui; un raclement
métallique se fit entendre, puis les gars se retrouvèrent seuls sur la grande
place silencieuse, plus nerveux que jamais.
« Mike veut qu’on surveille une
porte barrée? »
Rem n’avait pas plus de réponse à
cette question qu’aux autres. « Ferme ta gueule. On va faire le tour de la
bâtisse pour voir s’il n’y a pas d’autres sorties à surveiller. » Il y en avait
effectivement d’autres, mais elles étaient toutes verrouillées ou bloquées de l’intérieur.
Après une dizaine de minutes à
attendre dans un silence inquiétant, les gars entendirent des murmures s’élever
de l’intérieur. « Qu’est-ce qu’ils font là-dedans? » Djo essaya de
voir à l’intérieur, mais c’était peine perdue : on avait peint au rouleau
tout le plexiglas de la moitié du Terminus où les gens s’étaient rassemblés.
« Je ne sais pas »,
répondit Rem. Même s’il ne pouvait rien voir, ce qu’il entendait avait quelque
chose de familier… Rem n’avait pas mis les pieds à l’église depuis qu’il était
petit garçon, lorsque sa grand-maman l’y traînait à l’occasion, mais il n’avait
jamais entendu ailleurs le genre de litanie grommelée qu’il percevait
maintenant… Ces textes récités machinalement, où à peu près tout le monde connaît
à peu près tout les mots, où chacun participe en cherchant à ne pas se
démarquer…
Il n’était pas seul à faire le
rapprochement. « Veux-tu bien me dire pourquoi on surveille une messe?
— J’aimerais bien le savoir »,
concéda Rem pour une fois.
« Paraît que Karl Tobin était
un peu… fêlé », dit Djo en agitant une main au niveau de sa tête. « Peut-être
que c’est dans la famille…
— Arrête de dire des conneries. Mike
sait ce qu’il fait.
— J’espère, parce que moi, j’en ai
aucune idée… »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire