dimanche 4 août 2013

Le Noeud Gordien, épisode 281 : FAQ, 3e partie

Lorsqu’Édouard quitta le laboratoire souterrain de Gordon, l’antidote commençait à dissiper son effet, laissant la place à la compulsion. La tension familière réapparaissait, et avec elle, cette volonté de se plonger corps et âme dans les exercices de développement de l’acuité. Maintenant qu’il disposait d’une soupape capable de lui donner quelques heures de congé ici et là, il s’en accommodait bien. Son travail n’était pas pénible lorsqu’il pouvait se permettre de prendre soin de ses besoins essentiels… Il n’avait pas encore décidé s’il allait s’y mettre pour le reste de la nuit, ou s’il allait plutôt choisir le lit. En ce moment, il ne s’endormait pas du tout.
La visite avait été fructueuse : Gordon lui avait livré toutes les réponses qu’il avait cherchées – quoique pas nécessairement celles qu’il avait voulu entendre.
Tricane était anathème, une ennemie déclarée de la communauté des magiciens. Semble-t-il qu’elle avait pris part dans la mise à mort de deux Maîtres-avec-un-grand-M – ceux qui avaient accompli le Grand Œuvre. Un meurtre est toujours horrible, mais celui-là était particulièrement odieux. Malgré leur nom, les Seize n’étaient en fait qu’onze, maintenant réduits à neuf à cause d’elle. Toute l’expertise des magiciens se trouvaient dans la tête de ces bonzes, chacun avec des secrets connus de lui seul. Ces meurtres équivalaient à incendier des bouts de la grande bibliothèque d’Alexandrie : la perte définitive d’une sagesse ancestrale durement gagnée. À tout le moins, les maîtres-avec-un-petit-m – les adeptes assez avancés pour avoir complété leur panoplie rituelle – en préservaient des bribes… Mais combien de fois auraient-ils à réinventer la roue avant d’arriver au niveau de leurs instructeurs?
Ce qui avait le plus étonné Édouard, c’était que malgré qu’on l’ait nommée anathème, et malgré qu’on soupçonne qu’elle se terrait toujours dans La Cité, personne ne semblait vouloir la châtier. Ou plutôt : personne n’y pouvait faire quoi que ce soit. C’était en tentant de le faire que Hoshmand avait été vidé de toute magie…
Édouard avait cru à une conspiration planétaire de magiciens insinués partout; pour une première fois, il constatait leurs limites. En interrogeant Gordon, sans préciser la réflexion derrière la question, il avait appris qu’il y avait au total entre quarante et soixante initiés de par le monde. Cela mettait en perspective la portée de leur influence. Ils pouvaient peut-être espionner qui ils voulaient, modifier des souvenirs, voire même contrôler les actions des gens, ils ne pouvaient être partout à la fois; même ceux qui ne dormaient plus ne disposaient pas de plus de vingt-quatre heures dans une journée. De plus, ils étaient loin d’être partout : ils s’agglutinaient dans des villes dites radiesthésiques, c’est-à-dire ayant des zones comme le Centre-Sud, dont l’énergie était si concentrée qu’elle avait failli le tuer. Ces zones, quoique dangereuses, rendaient possibles les procédés les plus avancés, comme ceux derrière la Joute… Une véritable relation d’amour-haine pour sorciers.
Il passa la totalité du trajet plongé dans ses pensées. Gordon semblait croire qu’il pourrait rester dans La Cité. Édouard voulait le croire, mais… pourquoi avait-il l’impression qu’on se jouait de lui?
Lorsqu’il arriva chez lui, sa décision était arrêtée. Un joueur n’est jamais un pion.
Il était près de deux heures du matin. Il lui restait une dizaine de minutes avant de devoir se mettre au travail. C’était trop tard pour parler à Claude, mais l’heure était parfaite pour Alexandre. S’il répondait, il suffirait à Édouard de priser une nouvelle dose d’antidote.
Lorsqu’Alexandre décrocha, son « Allo? » fut chuchoté.
« Est-ce que je te dérange?
— Ben, un p’tit peu », répondit-il se le même ton. « Je ne suis pas tout seul.
— Ah non? Comment elle s’appelle?
— Qu’est-ce que tu veux?
— Je peux passer te voir? J’ai du nouveau. »
Silence. « Je ne suis pas loin de chez toi. Je peux être là dans dix minutes. S’il le faut. Est-ce que c’est important?
— Je dirais que oui. C’est le temps de passer à l’action. »
Nouveau silence, plus long que le premier. « J’arrive. »

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