dimanche 19 janvier 2014

Le Noeud Gordien, épisode 303 : Naturelle, 4e partie

« Calme », dit celui des ravisseurs qui pointait l’arme sur son front. Au prix d’un effort titanesque, elle réussit à ravaler la panique, la terreur qui menaçait de l’engloutir. Elle reconnut les deux hommes à l’arrière de la camionnette. C’était ceux qu’elle avait malmenés la nuit où elle avait découvert ses talents particuliers. C’était aussi simple qu’additionner deux et deux : elle n’était pas victime d’un rapt aléatoire. C’était un règlement de comptes.
Cette réalisation, étrangement, l’aida à conserver l’affolement à distance. Elle lutta pour approfondir sa respiration en se disant qu’ils auraient pu lui mettre une balle dans la tête plutôt que l’embarquer. Peut-être qu’ils ne la voulaient pas morte. Peut-être qu’elle pourrait s’en sortir. Elle se mit à observer sa situation d’un autre œil… Ses ravisseurs, la camionnette, les bribes qu’elle apercevait à travers les fenêtres teintées qui pouvaient fournir des indices quant à leur destination…
Son changement d’attitude fut remarqué. « On est mieux de garder les yeux sur elle tout le temps », dit l’un des hommes.
« Elle est pas trop dure à regarder », dit son complice. « Tiens… » Elle se raidit lorsqu’il ouvrit son manteau et tâta sa poitrine. « Pis c’est des vrais, à part ça! »
Il lui fallut toute sa volonté pour s’empêcher de ruer et se débattre. C’est ce qu’ils veulent, pensa-t-elle. Je ne leur donnerai pas ce qu’ils veulent. Ils n’insistèrent pas dans leurs attouchements; les deux hommes entreprirent plutôt une conversation chuchotée.
Elle reconnut une lueur familière dans le regard de celui qui la tenait en joue. C’était le regard fiévreux d’un homme sur le point de réaliser un fantasme.
Elle l’avait souvent vu, ce regard, lorsque des hommes voulaient l’engager non pas pour la baiser ou pour jouir d’elle, mais pour nourrir quelque fétiche ou accomplir un scénario mille fois imaginé. Parfois, il s’agissait de choses repoussantes ou hors-normes – Megan ne s’était jamais gênée pour refuser ce qui dépassait ses limites –, mais le plus souvent, il s’agissait d’actes d’une banalité navrante. Son dernier du genre lui avait donné ces instructions : Tu vas t’habiller en chemisier blanc et en jupe grise. Tu vas m’appeler ‘mon oncle’. Tu vas prendre les devants, m’agacer, puis me sucer. Je vais refuser, dire non, non, je ne peux pas, mais tu vas continuer coûte que coûte jusqu’à ce que je jouisse. Ce client était venu la voir quatre fois, toujours pour le même scénario, chaque fois avec la même expression que son ravisseur armé.
Si l’image d’une femme bâillonnée et les mains liées à l’arrière d’une camionnette le faisait bander au point où la bosse dans ses pantalons devienne visible, ses fantasmes à lui devaient être beaucoup moins inoffensifs.
Pendant que les deux discutaient à voix basse, elle écarta discrètement les paumes de ses mains, autant que ses restreintes de fortune le lui permettaient – c’est-à-dire très peu. Elle s’imagina devant Madame, pendant que les fidèles priaient ensemble de l’autre côté de la cloison. Elle se concentra de toutes ses forces pour connecter avec l’énergie de la communauté, du quartier, de l’univers… Pour faire apparaître l’étincelle entre ses paumes et éclater la tronche de ces bandits qui avaient osé lever la main sur elle… Comment? Elle verrait en temps et lieu. Si elle était une naturelle, comme Madame lui avait appris, elle allait y arriver. Elle devait y arriver.
Malgré toute sa volonté, elle ne ressentit rien. Rien du tout. Pas même le petit chatouillement intérieur qui l’avait accompagnée depuis qu’elle avait manifesté ses capacités pour la première fois.
Elle ne pouvait rien faire. Elle était finie. L’affolement revint en force et, cette fois, elle le savait, elle n’aurait plus la force de le contenir.

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