« Calme », dit celui des
ravisseurs qui pointait l’arme sur son front. Au prix d’un effort titanesque,
elle réussit à ravaler la panique, la terreur
qui menaçait de l’engloutir. Elle reconnut les deux hommes à l’arrière de la
camionnette. C’était ceux qu’elle avait malmenés la nuit où elle avait
découvert ses talents particuliers. C’était aussi simple qu’additionner deux et
deux : elle n’était pas victime d’un rapt aléatoire. C’était un règlement
de comptes.
Cette réalisation, étrangement, l’aida
à conserver l’affolement à distance. Elle lutta pour approfondir sa respiration
en se disant qu’ils auraient pu lui mettre une balle dans la tête plutôt que l’embarquer.
Peut-être qu’ils ne la voulaient pas morte. Peut-être qu’elle pourrait s’en
sortir. Elle se mit à observer sa situation d’un autre œil… Ses ravisseurs, la
camionnette, les bribes qu’elle apercevait à travers les fenêtres teintées qui
pouvaient fournir des indices quant à leur destination…
Son changement d’attitude fut
remarqué. « On est mieux de garder les yeux sur elle tout le temps »,
dit l’un des hommes.
« Elle est pas trop dure à
regarder », dit son complice. « Tiens… » Elle se raidit lorsqu’il
ouvrit son manteau et tâta sa poitrine. « Pis c’est des vrais, à part ça! »
Il lui fallut toute sa volonté pour
s’empêcher de ruer et se débattre. C’est
ce qu’ils veulent, pensa-t-elle. Je
ne leur donnerai pas ce qu’ils veulent. Ils n’insistèrent pas dans leurs
attouchements; les deux hommes entreprirent plutôt une conversation chuchotée.
Elle reconnut une lueur familière dans
le regard de celui qui la tenait en joue. C’était le regard fiévreux d’un homme
sur le point de réaliser un fantasme.
Elle l’avait souvent vu, ce regard,
lorsque des hommes voulaient l’engager non pas pour la baiser ou pour jouir d’elle,
mais pour nourrir quelque fétiche ou accomplir un scénario mille fois imaginé.
Parfois, il s’agissait de choses repoussantes ou hors-normes – Megan ne s’était
jamais gênée pour refuser ce qui dépassait ses limites –, mais le plus souvent,
il s’agissait d’actes d’une banalité navrante. Son dernier du genre lui avait
donné ces instructions : Tu vas t’habiller
en chemisier blanc et en jupe grise. Tu
vas m’appeler ‘mon oncle’. Tu vas prendre les devants, m’agacer, puis me sucer.
Je vais refuser, dire non, non, je ne peux pas, mais tu vas continuer coûte que
coûte jusqu’à ce que je jouisse. Ce client était venu la voir quatre fois,
toujours pour le même scénario, chaque fois avec la même expression que son
ravisseur armé.
Si l’image d’une femme bâillonnée et
les mains liées à l’arrière d’une camionnette le faisait bander au point où la
bosse dans ses pantalons devienne visible, ses fantasmes à lui devaient être beaucoup
moins inoffensifs.
Pendant que les deux discutaient à
voix basse, elle écarta discrètement les paumes de ses mains, autant que ses
restreintes de fortune le lui permettaient – c’est-à-dire très peu. Elle s’imagina
devant Madame, pendant que les fidèles priaient ensemble de l’autre côté de la
cloison. Elle se concentra de toutes ses forces pour connecter avec l’énergie
de la communauté, du quartier, de l’univers… Pour faire apparaître l’étincelle
entre ses paumes et éclater la tronche de ces bandits qui avaient osé lever la
main sur elle… Comment? Elle verrait en temps et lieu. Si elle était une
naturelle, comme Madame lui avait appris, elle allait y arriver. Elle devait y arriver.
Malgré toute sa volonté, elle ne
ressentit rien. Rien du tout. Pas même le petit chatouillement intérieur qui l’avait
accompagnée depuis qu’elle avait manifesté ses capacités pour la première fois.
Elle ne pouvait rien faire. Elle
était finie. L’affolement revint en force et, cette fois, elle le savait, elle
n’aurait plus la force de le contenir.
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