« Heu, Aizalyasni? Est-ce que
ça va? »
Elle sursauta. Elle était tant
tournée vers ses pensées qu’elle n’avait pas entendu Timothée revenir du côté
du trou. « Ça va », répondit-elle avec un sourire forcé. Elle avait
mal à la tête.
« Ça te va bien, ton nouveau
look », dit-il en allant s’asseoir à côté d’elle, les pieds dans le vide.
Elle lui jeta un regard perplexe. Elle avait mal à la tête et nulle envie de
jouer aux devinettes.
Il pointa la longue mèche blanche
qui était apparue au milieu de ses cheveux noirs. « Heureusement que ça
n’est pas apparu au milieu de ta tête. Tu aurais eu l’air d’une
mouffette. »
Le commentaire n’avait rien de
drôle, mais elle tenta de lui sourire. « Blague à part », continua
Timothée, « mes cheveux à moi ont blanchi un à un depuis que j’ai fait
apparaître l’étincelle entre mes mains.… Qu’est-ce que tu as fait, pour que
toute une mèche change d’un coup?
— Je ne veux pas en parler »,
trancha-t-elle. L’évocation des événements de la veille suffit à la faire
frissonner de dégoût. Elle était habituée d’offrir les contacts physiques les
plus intimes à ses clients, mais son coup d’œil dans le jardin secret des trois
hommes l’avait exposée à une promiscuité qui la troublait beaucoup plus.
« Est-ce que c’était les mêmes
que l’autre soir, sur la grande place? »
Elle resta un moment sans rien dire.
Voyant que Timothée attendait toujours une réponse, elle acquiesça d’un
mouvement.
« Est-ce qu’on devrait
s’inquiéter qu’ils rappliquent?
— Je ne pense pas », dit
Aizalyasni. Timothée l’interrogea du regard, mais elle n’ajouta rien.
Elle n’était pas certaine de ce
qu’elle leur avait fait, ou comment elle s’y était prise, mais elle les avait… éteints. Étaient-ils encore en train de
végéter dans la voiture, du côté du port? Étaient-ils morts de froid? Elle
espérait que non. Elle l’avait vu : leur mort pouvait éclabousser maintes
vies innocentes…
Elle avait agi sous l’impulsion
d’une parfaite clarté, une compréhension profonde d’elle-même et de sa place
dans le monde… Alors qu’elle était habitée par la magie du Centre-Sud, ses
pensées se bousculaient dans sa tête… Ni
vert, ni orange. Le blanc est la voie. En lumière ou en gouache? Madame me le
dira. L’idée lui avait paru fameuse, d’une pertinence parfaite… Mais
lorsqu’elle était arrivée au Terminus, haletante, elle n’avait pas réussi à la
communiquer à personne, pas plus que les autres pensées qui déferlaient dans sa
tête.
Lorsque Martin lui avait fait boire
la même infusion qui l’avait guérie auparavant, ses pensées s’étaient non
seulement tues : elles avaient perdu leur sens. Les mots demeuraient les
mêmes, mais ils étaient devenus banals, absurdes… Comment comprendre ce brusque
changement?
Il ne lui restait qu’une
certitude : Madame avait les réponses. Et Madame avait besoin d’aide.
« Je descends dans le trou. »
Sa déclaration soudaine fit sursauter Timothée à son tour – leur dernier
échange remontait à plusieurs minutes déjà.
« Mike a dit d’attendre qu’il
revienne…
— Mike ne comprends pas ce qui se
passe.
— Ah oui? Tu comprends, toi?
Explique-moi… »
Il n’avait pas tort. Était-ce pour
autant une raison de rester assis toute la journée sans rien faire? « Tu
vas m’aider, oui ou non?
— Demande à Martin, alors…»
« Martin anime une réunion de
Dépendants Anonymes… Il ne reviendra pas avant la fin de l’après-midi. »
Timothée eut l’air de se débattre
contre lui-même. « Je vais aller avertir Djo, au moins. » Il se leva.
« L’avertir de quoi?
— Que nous descendons tous les
deux. »
Aizalyasni n’en avait pas tant
espéré.
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