dimanche 30 mars 2014

Le Noeud Gordien, épisode 313 : Dans le trou, 5e partie

L’hébétude et la surprise suivirent leur cours jusqu’à disparaître. Le fou rire larmoyant de Timothée finit par s’épuiser; la désorientation qui avait fait trembler Aizalyasni disparut à peu près en même temps, lorsque son esprit finit par s’accommoder au fait qu’ils se trouvaient à la fois loin de La Cité et à quelques minutes de marche du Terminus.
« On devrait aller voir plus loin », dit Timothée, tout excité.
« Est-ce que c’est une bonne idée? Et si la grotte se refermait?
— Tu peux m’attendre ici, alors. » Il s’éloigna en enjambant les buissons et les fougères d’un pas leste.
Hésitante, Aizalyasni fut tentée de l’appeler, de le supplier de rester avec elle… Elle se retint toutefois, convaincue que rien ne le ferait reculer. Elle s’élança donc à sa suite dans les bosquets mouillés.
Dès qu’ils eurent contourné une montée graveleuse, les lumières d’une ville apparurent en contrebas. Ils échangèrent un regard et amorcèrent leur descente.
Malgré la noirceur, il était manifeste à la lueur des lampadaires que la plupart des immeubles qu’ils apercevaient étaient du même blanc que les couloirs du trou. Timothée pointa vers leur droite; un groupe d’enfants jouaient au ballon sur un terrain gazonné, l’endroit le mieux éclairé des environs.
« Au moins, nous sommes encore sur Terre », dit Timothée avec un rire forcé. « Des enfants qui jouent au soccer… Ça peut être n’importe où! »
Timothée se pencha pour ramasser un papier journal détrempé qui se trouvait sur leur chemin. Il le déplia soigneusement. La page montrait une photo d’un monsieur en cravate… Un autre indice trop peu précis pour les situer. Il orienta tant bien que mal le journal pour mieux l’éclairer. « C’est de l’arabe », dit-il. « Je ne peux rien lire, pas même le titre. Et toi? »
Aizalyasni fit non de la tête. Il abandonna le feuillet et ils continuèrent vers le terrain de jeu.
Les enfants ne donnèrent aucun signe d’avoir remarqué l’approche de ces deux zigotos habillés et bottés pour l’hiver. Aizalyasni eut beau se concentrer autant qu’elle put sur leurs piaillements, elle échoua à identifier la langue qu’ils parlaient.
Elle salua timidement lorsqu’un garçon regarda dans leur direction. Leur présence eut tôt fait de polariser l’intérêt du petit groupe. Un garçon profita de la distraction pour s’échapper avec le ballon et marquer un but. Le jeu s’arrêta; Timothée sauta sur l’occasion. « Bonjour! Hello! Holà! Parlez-vous français? Do you speak English? Habla español? »
Les enfants remirent le ballon en jeu, mais l’un d’eux trotta plutôt dans leur direction. Il devait avoir neuf ou dix ans. « Je parle français », dit-il presque sans accent.
« Est-ce que ta famille et toi venez de cette ville, de… » Il feignit un blanc de mémoire.
« Tanger? Oui, m’sieur. Je vis là-bas », dit-il en pointant plus loin sur la rue.
« Et comment as-tu appris le français?
— Mes parents. Mais on nous l’apprend aussi à l’école, m’sieur. »
Une exclamation retentit : l’autre équipe venait de marquer à son tour. « Hey, Lounis, tu joues ou tu joues pas? »
Aizalyasni demanda : « Une dernière question… Avez-vous vu passer une drôle de femme, hier ou aujourd’hui? » Le garçon la regarda, interloquée. « Grande comme ça, habillée de toutes les couleurs… Peut-être avec des comportements étranges? »
Après un moment d’hésitation, il dit : « Non, m’dame. » Aizalyasni tressaillit. Elle ne se souvenait pas qu’on l’ait déjà appelée madame.
« Tu es très gentil, Lounis. » Elle passa sa main dans les cheveux. « Tu peux retourner jouer. 
— Tanger, c’est la ville d’origine de Madame, non? », dit Timothée après que l’enfant se soit éloigné.
Aizalyasni regarda les enfants manœuvrer sur le terrain en tentant de comprendre… « Durant l’attaque, Madame a dû créer un passage pour s’enfuir, un endroit où elle pouvait se sentir en sécurité…
— De La Cité au Maroc en quelques pas… Je ne savais même pas qu’elle pouvait faire cela.
— Moi non plus. Je t’ai dit que lorsque j’ai connecté avec son esprit, je n’ai perçu que le chaos, la colère et la peur… Aucune réflexion. Je ne suis pas sûre qu’elle savait que c’était possible. Attends… » Elle ferma les yeux et inspira trois fois. Elle ouvrit son esprit autant qu’elle le put dans l’espoir de percevoir Madame à nouveau. Elle ne détecta rien, mais elle découvrit que les environs baignaient dans une zone radiesthésique, quoique considérablement moins concentrée que celle qui se trouvait de l’autre côté du passage, dans le Centre-Sud.
Après un moment, Timothée demanda : « Et puis?
— Rien. On retourne à la grotte?
— Ouais. Avec un peu de chance, quelqu’un capable de nous sortir du trou va être arrivé au Terminus. » Timothée leva les yeux vers le ciel. « J’espère que je vais pouvoir revenir ici. J’aime encore mieux la pluie que l’hiver. »

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