La plupart du temps,
les yeux de son père étaient la seule chose de son visage qui soit un tant soit
peu expressive. En ce moment, Alexandre pouvait y lire cette rage sourde qu’il
ressentait souvent mais n’exprimait presque jamais… Mais aussi une bonne part de
curiosité.
« Initié, hein? »,
dit Philippe. « Et qu’est-ce que ça veut dire? »
Alexandre referma la
porte derrière lui et tira une chaise renversée jusqu’au bureau. Il s’assit, un
peu étonné par son propre cran. Il supposa que l’autorité qu’il avait sur ses
trois élèves-amantes, fondée sur leur admiration réelle, avait cultivé sa
confiance en lui. « Je pense que tu le sais, papa. » Il s’avança sur
sa chaise. « Ça m’a pris du temps pour arranger toutes les pièces du
puzzle. Je m’étais demandé pourquoi tu n’avais pas mis le paquet pour te
défendre durant le procès. Je veux dire, lorsqu’on compare avec le
divorce… » Le regard de Philippe devint acéré.
Alexandre résista à la
tentation de dire ben quoi? C’est vrai…
Ç’aurait été une réplique adolescente. Il s’était juré que cette rencontre se
ferait entre adultes. Le problème,
lorsqu’on est confronté à quelqu’un qui nous a vu grandir, qui a changé nous couches,
qui nous vu pleurer pour un genou éraflé, c’est bien cette tentation de revenir
à ces façons de faire dépassées… mais naturelles. Il haussa les épaules pour cacher son
hésitation. « Sérieusement. J’avais compris que tu étais un combattant.
C’était inattendu de te voir rouler sur le côté en montrant la gorge. Étrange,
en fait. »
Philippe continuait à
le foudroyer du regard. Alexandre lisait une évidence dans ses yeux : je ne me serais jamais retrouvé en cour si
tu avais fermé ta gueule. « Ça, c’était avant que je découvre ce que
je sais maintenant.
— Vas-tu cracher le
morceau!? » L’exclamation subite fit sursauter Alexandre et lui coûta un
peu de son sang-froid.
« Je sais que
l’Orgasmik vient d’un certain Gordon. » Il marqua une pause. « Je sais
que c’est un magicien. Et qu’il est capable d’interdire à quelqu’un de parler à
un non-initié. »
Philippe se mit à
trembler, évoquant une cocotte surchauffée, menaçant d’exploser à tout moment. « Gordon »,
cracha Philippe. « C’est lui qui t’envoie pour me narguer?
— Non, papa. Le fait
est que je me suis retrouvé entre Gordon et l’un de ses rivaux. Ils ont
essayé de me manipuler. Ça n’a pas fonctionné. J’ai vu à travers leurs
manœuvres. Je les ai déjouées.
— Mais… Comment… As-tu
été initié? »
Alexandre laissa sa
fierté rayonner. « J’ai volé leurs secrets. Je me suis initié moi-même, à
l’insu de Gordon et des autres.
— Quoi? » Philippe exhala comme s’il avait reçu un coup de poing
dans le ventre. Un instant plus tard, il bondit sur ses pieds et se rua sur
Alexandre pour le prendre dans une étreinte maladroite.
Alexandre ne se
souvenait pas la dernière fois où son père l’avait pris dans ses bras.
« Oh, Alexandre »,
dit Philippe après qu’il l’eut relâché. « J’ai toujours su que mon fils
n’aurait pas pu me trahir. J’avais raison. Tu as été manipulé. Contrôlé par ces
lâches. J’ai passé des mois à essayer de comprendre… Mais tout s’explique. Tout s’explique. » Ses petits yeux
brillaient d’émotion.
Face à cette effusion
inattendue, Alexandre choisit de ne pas le détromper. Il vit plutôt une
occasion à saisir… La possibilité de faire table rase de leurs différends et
reprendre leur relation sur de nouvelles bases. « Tout s’explique »,
dit-il à son tour avec un sourire.
« Alexandre… Je
me sens revivre. C’est comme si toutes ces épreuves n’avaient été qu’un mauvais
rêve. Nous revoilà ensemble. Partenaires à nouveau. »
Alexandre fronça les
sourcils. Partenaires de quoi? Allait-il
demander, lorsque Philippe ajouta : « Ils vont payer, ces salauds. Ils
ont voulu te contrôler, tu leur a montré qui était le plus fort. C’est
maintenant mon tour. »
Ils avaient été
réconciliés une minute à peine, et voilà qu’il se retrouvait happé à nouveau dans
les magouilles de son père… Le sourire d’Alexandre devint amer.
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