Joe Gaccione lissait
ce qui lui restait de cheveux, un peu désespéré. Peu importe comment il
alignait les chiffres, ses affaires n’allaient pas bien.
Lorsque Guido Fusco
l’avait approché pour qu’il devienne le fer de lance de la revitalisation du
Centre-Sud, Joe n’avait pas été difficile à convaincre. Après tout, il tenait
l’essentiel de sa fortune à ses partenariats avec Guido.
Il s’agissait
toutefois de la première occasion depuis la dissolution du Conseil Central. Il
fallait se rendre à l’évidence : la mort de Lev Lytvyn avait eu un effet
sur l’efficacité des troupes. Ce qui devait être une simple formalité – évincer
des squatters – avait pris des allures de roman fantastique avec cette histoire
de vagues de lumières et de sorcellerie…
Une formalité, certes,
mais cet échec bloquait tout le reste. Et si rien ne débloquait…
Gaccione et Fusco
n’étaient pas les seuls investisseurs dans le projet; au rythme où allaient les
choses, l’un et l’autre risquaient de perdre toute crédibilité auprès de leurs
bailleurs de fonds. Dans les sphères où M. Fusco évoluait, certains
investisseurs chercheraient peut-être à obtenir plus que des excuses…
Joe connaissait Guido
depuis l’adolescence. Il se demandait si, au final, cela pourrait lui éviter de
finir avec une balle dans la tête. Malgré sa carrière en marge du crime
organisé, c’était bien la première fois qu’il entretenait pareilles pensées.
Il relisait donc les
chiffres et les échéances, et peu importe comment il alignait les chiffres, il
ne réussissait pas à trouver de solution. Chaque jour où les chantiers étaient
retardés était un jour qui le rapprochait du cul-de-sac.
Joe sursauta lorsque
la porte de son bureau s’ouvrit. Un homme en complet noir entra dans la pièce
et l’examina d’un œil inquisiteur. Il fit un signe de la tête et Guido Fusco
entra à son tour. L’homme ressortit en fermant la porte derrière son patron.
« Tu pourrais
peut-être t’annoncer quand tu viens me voir… » Fusco balaya le commentaire
du revers de la main. Il prit place devant Gaccione comme s’il était chez lui. Joe
soupira. « Tu veux boire quelque chose?
— As-tu changé ta
machine à café?
— Nope! Toujours la
même.
— Alors je vais passer
mon tour.
— Ça ne te dérange pas
si je me verse un verre? » Joe n’attendit pas la réponse. Il tira son
verre et une bouteille du tiroir du bureau, et se servit une généreuse lampée
de cognac. Il avait besoin de sentir le feu de l’alcool dans son gosier et dans
son ventre pour aborder avec Fusco les détails de leur déconfiture. Il se cacha
derrière une lente gorgée pour mettre en mot son ouverture. La même idée
revenait sans cesse… Peu importe comment
j’aligne les chiffres, je ne trouve pas de solution. C’était brusque, ce
n’était pas diplomate pour deux sous, mais… Comment le dire autrement?
Interrompu dans ses
méditations pessimistes, Joe n’avait pas pensé un instant que M. Fusco l’ait
rejoint pour autre chose que lui demander des comptes. Il fut donc surpris de
le voir prendre l’initiative.
« J’ai beaucoup
réfléchi après notre dernière conversation... » Joe ignorait de quoi Guido
parlait. Celle-ci avait dû avoir lieu en soirée… Il lui manquait parfois des
bouts, lorsque la journée était avancée… La rançon de l’ivrognerie. Il ne lui
restait qu’à le laisser parler en espérant qu’un indice lui rafraichisse la
mémoire. « Peu importe ce dont nos… adversaires sont capables… Ils sont,
au final, des gens comme les autres…
— Ouais… Des gens comme
les autres capables de chasser quatre hommes armés, juste en levant la main. Ou
pire encore, de les rendre légumes…
— Tu as touché le cœur
du problème quand tu as dit que nous ne savions même pas exactement ce qu’ils
pouvaient nous faire… Donc que nous ignorons comment réagir. »
Déclic! Joe se souvint
qu’ils en avaient jasé durant une soirée bien arrosée chez Moro, l’un des
restaurants de Guido. Quelque part la semaine dernière…. « Eh bien »,
continua Guido, « j’ai trouvé quelqu’un avec qui parler. »
Fusco se releva et alla
frapper deux petits coups à la porte. Elle s’ouvrit un instant plus tard pour
révéler la présence d’un homme dont l’assurance frôlait la suffisance. Il était
vêtu d’un jean et d’une camisole moulant un torse athlétique et tatoué.
« Joe, je te
présente Rémi Bélanger.
— Appelez-moi Rem »,
dit-il en tendant la main.
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