dimanche 20 septembre 2015

Le Nœud Gordien, épisode 388 : Parti pris

Joe Gaccione lissait ce qui lui restait de cheveux, un peu désespéré. Peu importe comment il alignait les chiffres, ses affaires n’allaient pas bien.
Lorsque Guido Fusco l’avait approché pour qu’il devienne le fer de lance de la revitalisation du Centre-Sud, Joe n’avait pas été difficile à convaincre. Après tout, il tenait l’essentiel de sa fortune à ses partenariats avec Guido.
Il s’agissait toutefois de la première occasion depuis la dissolution du Conseil Central. Il fallait se rendre à l’évidence : la mort de Lev Lytvyn avait eu un effet sur l’efficacité des troupes. Ce qui devait être une simple formalité – évincer des squatters – avait pris des allures de roman fantastique avec cette histoire de vagues de lumières et de sorcellerie…
Une formalité, certes, mais cet échec bloquait tout le reste. Et si rien ne débloquait…
Gaccione et Fusco n’étaient pas les seuls investisseurs dans le projet; au rythme où allaient les choses, l’un et l’autre risquaient de perdre toute crédibilité auprès de leurs bailleurs de fonds. Dans les sphères où M. Fusco évoluait, certains investisseurs chercheraient peut-être à obtenir plus que des excuses…
Joe connaissait Guido depuis l’adolescence. Il se demandait si, au final, cela pourrait lui éviter de finir avec une balle dans la tête. Malgré sa carrière en marge du crime organisé, c’était bien la première fois qu’il entretenait pareilles pensées.
Il relisait donc les chiffres et les échéances, et peu importe comment il alignait les chiffres, il ne réussissait pas à trouver de solution. Chaque jour où les chantiers étaient retardés était un jour qui le rapprochait du cul-de-sac. 
Joe sursauta lorsque la porte de son bureau s’ouvrit. Un homme en complet noir entra dans la pièce et l’examina d’un œil inquisiteur. Il fit un signe de la tête et Guido Fusco entra à son tour. L’homme ressortit en fermant la porte derrière son patron.
« Tu pourrais peut-être t’annoncer quand tu viens me voir… » Fusco balaya le commentaire du revers de la main. Il prit place devant Gaccione comme s’il était chez lui. Joe soupira. « Tu veux boire quelque chose?
— As-tu changé ta machine à café?
— Nope! Toujours la même.
— Alors je vais passer mon tour.
— Ça ne te dérange pas si je me verse un verre? » Joe n’attendit pas la réponse. Il tira son verre et une bouteille du tiroir du bureau, et se servit une généreuse lampée de cognac. Il avait besoin de sentir le feu de l’alcool dans son gosier et dans son ventre pour aborder avec Fusco les détails de leur déconfiture. Il se cacha derrière une lente gorgée pour mettre en mot son ouverture. La même idée revenait sans cesse… Peu importe comment j’aligne les chiffres, je ne trouve pas de solution. C’était brusque, ce n’était pas diplomate pour deux sous, mais… Comment le dire autrement?
Interrompu dans ses méditations pessimistes, Joe n’avait pas pensé un instant que M. Fusco l’ait rejoint pour autre chose que lui demander des comptes. Il fut donc surpris de le voir prendre l’initiative.
« J’ai beaucoup réfléchi après notre dernière conversation... » Joe ignorait de quoi Guido parlait. Celle-ci avait dû avoir lieu en soirée… Il lui manquait parfois des bouts, lorsque la journée était avancée… La rançon de l’ivrognerie. Il ne lui restait qu’à le laisser parler en espérant qu’un indice lui rafraichisse la mémoire. « Peu importe ce dont nos… adversaires sont capables… Ils sont, au final, des gens comme les autres… 
— Ouais… Des gens comme les autres capables de chasser quatre hommes armés, juste en levant la main. Ou pire encore, de les rendre légumes…
— Tu as touché le cœur du problème quand tu as dit que nous ne savions même pas exactement ce qu’ils pouvaient nous faire… Donc que nous ignorons comment réagir. »
Déclic! Joe se souvint qu’ils en avaient jasé durant une soirée bien arrosée chez Moro, l’un des restaurants de Guido. Quelque part la semaine dernière…. « Eh bien », continua Guido, « j’ai trouvé quelqu’un avec qui parler. »
Fusco se releva et alla frapper deux petits coups à la porte. Elle s’ouvrit un instant plus tard pour révéler la présence d’un homme dont l’assurance frôlait la suffisance. Il était vêtu d’un jean et d’une camisole moulant un torse athlétique et tatoué.
« Joe, je te présente Rémi Bélanger.

— Appelez-moi Rem », dit-il en tendant la main. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire