Félicia était déjà
réveillée lorsque Gordon frappa à sa chambre d’hôtel. En fait, elle n’avait
presque pas dormi de la nuit, trop tendue par le mélange d’excitation et
d’anxiété. Il prit la boîte avec l’urne, lui laissant tirer sa valise à
roulettes jusqu’à la rue.
Dehors, c’était encore
la nuit noire. L’atmosphère était chargée d’humidité; une averse allait
peut-être tomber plus tard dans la journée. Leur limousine les attendait à la
sortie de l’hôtel. Le conducteur, un jeune homme en uniforme bleu marin,
s’empressa de charger leur matériel. Gordon avait dû déjà l’informer de leur
destination : ils se mirent en route sans qu’un mot n’ait été prononcé.
Félicia était quelque
peu surprise qu’un civil soit mêlé à leur entreprise. Elle découvrit toutefois
que Gordon n’avait pas l’intention de le garder avec eux. « Soyez prêt à venir nous chercher
lorsque je vous appellerai », dit Gordon alors que la limousine
s’engageait sur le dernier tronçon. « Sinon, revenez à quatorze heure. Si
nous n’y sommes plus, tentez de m’appeler au premier numéro que je vous ai déjà
donné; si, dans vingt-quatre heures, vous n’avez toujours pas reçu de contact
de notre part, appelez au second numéro et expliquez-en détail la
situation. »
Une fois sur la
colline où avait péri Harré, le chauffeur déchargea leur barda et les laissa
derrière. Les bouts de ciel qui apparaissaient entre les nuages s’éclairaient
doucement, prenant une couleur à mi-chemin entre le noir de la nuit et le bleu
du jour. Le procédé devait commencer à l’instant où le soleil apparaissait à
l’horizon. La couverture nuageuse aurait compliqué l’estimation s’ils n’avaient
pas pris la peine de noter l’heure précise de l’aube, tout en s’assurant d’être
synchronisés avec l’heure officielle. Ils pouvaient s’installer
tranquillement : ils étaient un peu en avance.
La tension que Félicia
avait ressentie durant la nuit s’accentuait de minute en minute. Elle avait les
mains moites, des sueurs froides et des papillons dans l’estomac. « Tu es
certain que c’est une bonne idée? », s’entendit-elle demander, regrettant
déjà que son insécurité ait pris le pas sur son aplomb, ne serait-ce qu’un
instant.
Elle fut surprise
d’entendre Gordon lui répondre par la négative. « Non. Mais qui ne risque
rien n’a rien, n’est-ce pas? »
Un frisson la traversa
jusqu’à la moelle. Ce n’était pas très rassurant…
Ils localisèrent le
rond dénué de toute végétation qui marquait la position de l’impression de Harré,
socle invisible pour une statue intangible. Alors qu’elle disposait son
équipement à portée de main, elle remarqua que Gordon scrutait non pas
l’endroit où l’impression de Harré était figée, mais les collines
environnantes.
« Gordon?
Qu’est-ce que tu vois? » Il ne répondit pas, les yeux rivés sur l’horizon,
comme s’il cherchait à distinguer quelque chose dans la pénombre. « Qu’est-ce
qui se passe?
— On nous
observe », dit-il.
« Quoi? »
Elle se redressa pour suivre le tracé du regard de Gordon, mais il n’y avait
rien à voir.
« Non, pas
là-bas! Ici. Sur cette colline. C’est un procédé… Expert.
— Je ne vois rien ici
non plus. Qu’est-ce que c’est?
— Un point d’ancrage
pour observer les environs…
— Une sorte de caméra
de surveillance, bref.
— Quelque chose comme
cela, oui.
— Peux-tu le défaire?
— Même si j’avais tout
mon matériel, avant le lever du soleil, ce serait impossible. »
Quelqu’un d’autre
s’intéressait donc à Harré, ce qui en soi pouvait être inquiétant… Pas autant,
toutefois, que la possibilité que ce soit plutôt le projet de Gordon et Félicia
qui soit espionné. Elle aurait bien voulu savoir si le même procédé était déjà
en place lors de sa visite avec Mandeville l’an dernier… « On continue? Ou
on remet ça?
— On continue »,
répondit Gordon en regardant sa montre. « Il nous reste encore onze
minutes. Mieux vaut se concentrer sur l’opération. »
Félicia acquiesça. La
tension sur sa poitrine rendait sa respiration quasiment haletante. Elle se mit
au travail alors que l’aube achevait de bleuir le ciel et de dorer les collines
environnantes.
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