Félicia s’était
attendue à ce qu’un effet spectaculaire se produise au moment de toucher
l’impression de Harré, peut-être un coup de tonnerre, peut-être une explosion
lumineuse. Peut-être même une sensation spirituelle qui lui confirmerait la
réussite du procédé. Mais rien de cela ne se produit. Elle jeta un coup d’œil
en direction de Gordon. Il la scrutait, lui aussi dans l’attente de quelque
chose, n’importe quoi.
« Ça n’a pas
fonctionné », dit-elle. « Il est toujours là, dans la même position.
— Tu as fait tout ce
qu’il fallait?
— Oui.
— En es-tu certaine?
— Absolument »,
dit-elle, malgré ses propres doutes naissants. « Le procédé a été conçu en
présumant que Harré est une impression comme les autres. C’est un indice de
plus que ce n’est pas le cas. »
En principe,
l’opération de ce matin aurait pu être vue comme un laboratoire, un test
empirique afin d’en savoir plus sur la nature du spectre de Harré et sur les
limites de l’urne de Félicia. Elle aurait dû se contenter de ces
apprentissages… Mais elle ne pouvait pas faire abstraction du sentiment d’avoir
échoué.
Elle s’attendait à ce
que Gordon la blâme, la réprimande, souligne que sa réputation était surfaite. Mais
au lieu de l’effusion redoutée, elle vit les yeux du Maître s’embuer. Elle
déposa son urne à l’extérieur du cercle d’herbes mortes et le rejoignit. Il
avait l’air bien plus bouleversé qu’elle.
« Tout cela pour…
rien », dit-il, mortifié, comme si c’était lui qui avait failli, comme
s’il en était responsable.
« Nous trouverons
bien le moyen… », répondit Félicia, mal à l’aise. « Nous trouverons
bien un moyen.
— Comment? » L’exaspération
rôdait juste derrière l’abattement. « Je ne comprends pas… Tout indiquait
que nous allions réussir… Nous avons déjà accompli l’impossible… Que
pouvons-nous faire d’autre? Si seulement Harré pouvait nous aider… Nous donner
un indice, ou quelque chose… »
Gordon échappa un
sanglot. La mère de Félicia disait souvent qu’il n’y a rien de plus pathétique
qu’un homme en larmes. En ce moment, elle lui aurait donné raison.
« À moins que…
— Quoi? », dit
Gordon en tirant un mouchoir de sa poche.
Il était peut-être
temps que le chat sorte du sac. « Trois faveurs pour un secret? »
Gordon essuya ses yeux
puis son nez. « Parle, je t’en prie…
— J’ai déjà réussi à
communiquer avec certaines impressions…
— Et c’est maintenant
que tu me le dis!?
— Parce que toi, tu me
dis tout, peut-être? Vous m’avez appris, Espinosa et toi, l’importance de
garder mes secrets pour en user au moment opportun… Eh bien, voilà, nous y
sommes.
— Félicia! »,
gémit-il, consterné. « Tu sais bien que toute cette opération a pour but
de me permettre de communiquer avec Harré! Ton urne n’est qu’un moyen en vue de
cette fin!
—Communiquer est un bien grand mot : à date, je ne peux avoir
accès qu’à leurs dernières pensées… » Gordon percevait-il son amertume? La dernière pensée de Karl Tobin était pour
sa famille. Celle de mon père? Ses foutus millions cachés.
« Et l’idée
d’essayer avec Harré ne t’est jamais encore venue?
— Au contraire. J’y
pense tout le temps.
— Alors?
— La seule certitude à
propos de Harré, c’est que nous ne pouvons rien prendre pour acquis. Qui sait
ce qui pourrait se produire si j’établissais un lien direct avec lui? Quelle
que soit la nature de cet endroit, et de l’image qu’il a laissée ici, nous ne
pouvons pas le sous-estimer…
— C’était sage de ta
part », admit-il après un instant de réflexion. « Trois faveurs pour
un secret, entendu. Montre-moi comment faire!
— Gordon, tu ne vas
pas…
— Pas question que je
m’arrête maintenant. Je saurai bien me protéger. Par ailleurs, si l’urne n’a
pas fonctionné, sans doute que ton secret ne sera pas plus utile.
— Quand même, je
continue à croire que ce n’est pas une bonne idée…
— Félicia, tu as deux
options. Soit tu acceptes de m’aider, soit tu me laisses trouver quelqu’un qui
va le faire à ta place. »
Ce n’est pas une bonne idée, répéta-t-elle en pensée. Elle devinait
toutefois que Gordon ne se laisserait pas convaincre. « Tu peux compter
sur moi », dit-elle finalement.
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