dimanche 24 janvier 2016

Le Nœud Gordien, épisode 404 : Aube dorée, 3e partie

Félicia s’était attendue à ce qu’un effet spectaculaire se produise au moment de toucher l’impression de Harré, peut-être un coup de tonnerre, peut-être une explosion lumineuse. Peut-être même une sensation spirituelle qui lui confirmerait la réussite du procédé. Mais rien de cela ne se produit. Elle jeta un coup d’œil en direction de Gordon. Il la scrutait, lui aussi dans l’attente de quelque chose, n’importe quoi.
« Ça n’a pas fonctionné », dit-elle. « Il est toujours là, dans la même position.
— Tu as fait tout ce qu’il fallait?
— Oui.
— En es-tu certaine?
— Absolument », dit-elle, malgré ses propres doutes naissants. « Le procédé a été conçu en présumant que Harré est une impression comme les autres. C’est un indice de plus que ce n’est pas le cas. »
En principe, l’opération de ce matin aurait pu être vue comme un laboratoire, un test empirique afin d’en savoir plus sur la nature du spectre de Harré et sur les limites de l’urne de Félicia. Elle aurait dû se contenter de ces apprentissages… Mais elle ne pouvait pas faire abstraction du sentiment d’avoir échoué.
Elle s’attendait à ce que Gordon la blâme, la réprimande, souligne que sa réputation était surfaite. Mais au lieu de l’effusion redoutée, elle vit les yeux du Maître s’embuer. Elle déposa son urne à l’extérieur du cercle d’herbes mortes et le rejoignit. Il avait l’air bien plus bouleversé qu’elle.
« Tout cela pour… rien », dit-il, mortifié, comme si c’était lui qui avait failli, comme s’il en était responsable.
« Nous trouverons bien le moyen… », répondit Félicia, mal à l’aise. « Nous trouverons bien un moyen.
— Comment? » L’exaspération rôdait juste derrière l’abattement. « Je ne comprends pas… Tout indiquait que nous allions réussir… Nous avons déjà accompli l’impossible… Que pouvons-nous faire d’autre? Si seulement Harré pouvait nous aider… Nous donner un indice, ou quelque chose… »
Gordon échappa un sanglot. La mère de Félicia disait souvent qu’il n’y a rien de plus pathétique qu’un homme en larmes. En ce moment, elle lui aurait donné raison.
« À moins que…
— Quoi? », dit Gordon en tirant un mouchoir de sa poche.
Il était peut-être temps que le chat sorte du sac. « Trois faveurs pour un secret? »
Gordon essuya ses yeux puis son nez. « Parle, je t’en prie…
— J’ai déjà réussi à communiquer avec certaines impressions…
— Et c’est maintenant que tu me le dis!?
— Parce que toi, tu me dis tout, peut-être? Vous m’avez appris, Espinosa et toi, l’importance de garder mes secrets pour en user au moment opportun… Eh bien, voilà, nous y sommes.
— Félicia! », gémit-il, consterné. « Tu sais bien que toute cette opération a pour but de me permettre de communiquer avec Harré! Ton urne n’est qu’un moyen en vue de cette fin!
Communiquer est un bien grand mot : à date, je ne peux avoir accès qu’à leurs dernières pensées… » Gordon percevait-il son amertume? La dernière pensée de Karl Tobin était pour sa famille. Celle de mon père? Ses foutus millions cachés.
« Et l’idée d’essayer avec Harré ne t’est jamais encore venue?
— Au contraire. J’y pense tout le temps.
— Alors?
— La seule certitude à propos de Harré, c’est que nous ne pouvons rien prendre pour acquis. Qui sait ce qui pourrait se produire si j’établissais un lien direct avec lui? Quelle que soit la nature de cet endroit, et de l’image qu’il a laissée ici, nous ne pouvons pas le sous-estimer…
— C’était sage de ta part », admit-il après un instant de réflexion. « Trois faveurs pour un secret, entendu. Montre-moi comment faire!
— Gordon, tu ne vas pas…
— Pas question que je m’arrête maintenant. Je saurai bien me protéger. Par ailleurs, si l’urne n’a pas fonctionné, sans doute que ton secret ne sera pas plus utile.
— Quand même, je continue à croire que ce n’est pas une bonne idée…
— Félicia, tu as deux options. Soit tu acceptes de m’aider, soit tu me laisses trouver quelqu’un qui va le faire à ta place. »
Ce n’est pas une bonne idée, répéta-t-elle en pensée. Elle devinait toutefois que Gordon ne se laisserait pas convaincre. « Tu peux compter sur moi », dit-elle finalement.

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