Loren Polkinghorne ne
s’était toujours pas remis de la mort de son partenaire.
Pourtant, durant leur
fréquentation, il était souvent arrivé que Hoshmand disparaisse des semaines ou
des mois, jusqu’à une année et demie pour leur plus longue séparation. Il s’attendait
encore, inconsciemment, à le voir surgir chez lui, à déposer son sac et,
laconique, expliquer son retour en deux mots : I’m home.
Pourquoi ne pouvait-il
pas lâcher prise? Pourquoi son deuil demeurait-il sans résolution? Il avait l’intuition
que c’était l’espoir que Gordon reproduise pour Hoshmand le prodige qu’il avait
accompli pour Karl Tobin.
Deux problèmes, toutefois,
reléguaient cet espoir au rang de chimère. Le premier : Polkinghorne
n’avait pas un très bon capital de faveurs dues par Gordon, et il ne pouvait
pas s’attendre du Maître qu’il se lance dans une opération de cette envergure
pour ses beaux yeux. Même s’il trouvait une façon de le convaincre, le deuxième
problème l’en empêcherait sans doute : si Hoshmand avait laissé une
impression au moment de sa mort, elle se trouvait au cœur du cercle
radiesthésique. Tenter n’importe quel procédé là-bas revenait à jongler avec
des feux de Bengale dans une poudrière. Ironiquement, celui qui avait démontré
être le plus apte à ce genre de jonglerie était Hoshmand lui-même…
Il ne pouvait pas
aller de l’avant, il ne pouvait pas lâcher prise. Il se sentait comme ces
revenants des contes d’antan, enterrés à la croisée des chemins, incapables
d’en choisir un, prisonniers de leur propre indécision.
Il vivait sur le
pilote automatique, dans un état similaire à celui dans lequel Hoshmand avait
passé ses derniers mois, après que Tricane l’ait privé de ses pouvoirs. Combien
de fois avait-il dit à Hoshmand qu’il ne sortirait pas de la déprime en s’y
vautrant? Maintenant qu’il s’y trouvait à son tour, il n’agissait pas
différemment. Pathétique.
Il remplissait ses
journées à coups de vieilles habitudes, non pas qu’elles fournissent une
direction à sa vie, simplement parce qu’il ne connaissait rien d’autre et qu’il
n’avait pas la force de se redéfinir autrement. Il pratiquait juste assez pour
empêcher son niveau d’acuité de régresser, mais il ne se souciait plus de sa
progression – ou tout ce qui touchait au futur, par ailleurs.
D’autres à sa place se
seraient tournés vers l’alcool ou la drogue. Polkinghorne, lui, n’avait plus
rien à engourdir. Ses émotions se définissaient surtout par leur absence :
joie, plaisir, entrain, ambition, espoir.
Souvent, il s’asseyait
quelque part – un bar, un café, même un restaurant à franchise – et il se
commandait un breuvage qu’il laissait tiédir durant des heures en regardant la
vie passer autour de lui.
Il fréquentait parfois
le quartier général des Maîtres sur le boulevard La Rochelle, mais il l’évitait
la plupart du temps. Il ne pouvait plus blairer Avramopoulos et sa folie. Oui, sa
folie! Le mot n’était pas trop fort. Trop longtemps, il avait choisi d’ignorer
à quel point son Maître vivait dans un monde distordu, coloré par le double
filtre de son égo démesuré couplé d’un parfait mépris pour tout ce qui
dépassait sa propre personne. Polkinghorne était trop poltron pour rompre
formellement son lien avec lui. Il craignait son courroux, et encore plus ses
représailles. Un autre carrefour, un autre purgatoire. Damned if you do, damned if you don’t.
Son téléphone tinta
l’arrivée d’une notification. L’écran présentait une série de chiffres et de
lettres provenant d’un envoyeur inconnu. La nature du message n’était pas moins
claire pour autant : il s’agissait de l’un des nouveaux codes mis sur pied
par Latour pour faciliter les communications du groupe. Celui-ci signifiait Urgence. Rapportez-vous immédiatement au QG.
C’était la première alerte du genre…
Une pointe de
curiosité remua l’âme ganguée d’apathie de Polkinghorne. Il empocha son
appareil et mit le cap vers l’Ouest.
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