dimanche 3 juillet 2016

Le Nœud Gordien, épisode 427 : Préproduction, 1re partie

La soirée s’était étirée jusqu’aux petites heures du matin, leur corps convergeant sans cesse, chacun préférant la compagnie de l’autre au sommeil.
Ils avaient vécu comme s’il n’y avait pas de lendemain... Mais demain arrive toujours.
L’alarme retentit, suivie de grommellements. « Tu peux dormir encore, offrit Édouard.
— C’est correct, répondit Félicia en baillant. J’ai beaucoup de choses à faire. Et toi? Pourquoi l’alarme?
— J’ai un rendez-vous », répondit-il, content qu’elle se satisfasse de cette généralité.
Ils burent un café comme des zombis, les yeux rivés sur leur téléphone, mais pendant qu’ils se rhabillaient, ils eurent un nouveau moment de rires et de caresses, écho de ceux de la veille.
Ils se dirent au revoir et à bientôt, sourire aux lèvres. En la regardant s’éloigner avant de rejoindre sa voiture, Édouard dut le reconnaître : tout cliquait avec cette fille. Mais dès qu’elle tourna le coin, il se mit en mode boulot.

Édouard était assis d’un côté de la table ovale d’une salle de réunion de CitéMédia. Maude Dansokho était à sa droite, Nicolas Ioannis à sa gauche.
Jean Vallée prit place de l’autre côté, ses lunettes de lecture remontées sur le front. « Salut, Édouard. Content de te revoir. Nico m’a dit que tu avais quelque chose à me vendre. Je ne suis pas certain d’avoir compris de quoi il s’agissait, au juste.
— Tu permets que je commence par une petite mise en contexte? »
Jean ouvrit ses bras en signe d’invitation. « Vas-y. Je t’écoute.
— Tout a commencé il y a deux ans. J’ai découvert une situation inexplicable : quelqu’un ou quelque chose avait effacé certains de mes souvenirs. »
Son entrée en matière fit mouche : Vallée se montra immédiatement intéressé.
« Tu me connais : je n’ai pas eu le choix de chercher à en savoir plus. De fil en aiguille, tiens-toi bien, j’ai découvert que ce quelque chose avait pour origine une sorte de société secrète de véritables magiciens. Pas des prestidigitateurs : des gens capables d’affecter les autres grâce à des procédés surnaturels. »
Vallée se montra plus dubitatif, mais il dit néanmoins : « Continue… » C’était un signe clair que, même s’il ne travaillait plus pour CitéMédia, Édouard n’avait pas perdu son capital de crédibilité auprès de ses anciens employeurs… Pas encore, du moins.
« J’ai réussi à remonter la piste jusqu’à l’un des Maîtres qui dirigent ce groupe. J’ai réussi à l’impressionner, même si je bluffais à mort. Il a décidé de m’initier. »
Les bras croisés, reculé sur sa chaise, Jean eut un rire sarcastique. « Ils t’ont donné une baguette magique et assigné une maison?
— Non », répondit Édouard, plus sérieux que jamais. « J’ai été séquestré. J’ai assisté à un rituel masqué dans des catacombes, où on m’a menacé de mort et d’agression sexuelle. » Malaise : le sourire de Jean disparut. « Après ce jour, j’ai commencé à apprendre leur art. J’ai travaillé fort, plus que tu peux imaginer.
— Ouais, je sais à qui je m’adresse…
— Tu n’as pas idée. Mais ça commence à porter fruit…
— Ce qui nous conduit au point suivant, dit Nico. As-tu déjà entendu parler du défi Randall James?
— Éclaire-moi.
— En un mot : il a promis un million de dollars à quiconque pouvait démontrer l’existence du surnaturel ou du paranormal.
— Et c’est là que vous me dites qu’avec les nouvelles connaissances d’Édouard, vous voulez relever le défi.
— Non : c’est déjà fait.
— Quoi?
— Tu sais, l’équipe que j’ai mobilisée », dit Maude, « c’était pour couvrir la série de tests par la Fondation Randall James. Nous avons des images de tout le processus, du début à la fin, de même que des entrevues. Celle avec James est… fantastique.
— Tu m’as menti!, s’exclama Jean.
— Par omission. J’en suis désolée. Mais j’en prends la totale responsabilité. »
Vallée frotta ses yeux et sa barbe avec ses deux mains. « Qu’est-ce que vous attendez de moi?
— Je ne sais pas si tu réalises, dit Édouard, mais tout cela a une portée immense. De un, le surnaturel existe et je suis le premier à l’avoir démontré scientifiquement.
— Continue…
— De deux, il ne faut pas oublier la base de tout cela : il y a des magiciens parmi nous, qui sont capables de contrôler les pensées des gens. Il y a de quoi donner froid dans le dos, non? »
Jean se gratta à nouveau la barbe, pensif.
« Jean, tu ne peux pas faire fi de toutes les étrangetés de La Cité des dernières années… L’enquête d’Édouard explique tout. Les malades soudains, que les médecins ne comprennent pas. Le culte de la Vieille-Gare. Les lumières dans le ciel du Centre-Sud. Peut-être même l’explosion du Hilltown.
— Et l’Orgasmik », ajouta Édouard. Tout le monde se tourna vers lui : même ses alliés ne connaissaient pas encore cette information.
— Je pensais que c’était ton grand frère, le caïd, dit Vallée.
— En fait, il était dirigé par l’un des Maîtres. Il n’a pas inventé la formule, et il n’est pas capable d’en produire par ses propres moyens. C’est parce que l’Orgasmik est un procédé magique.
— C’est pratique, de tout mettre sur le dos de la magie. Mais où sont les preuves? Vous êtes-vous écoutés? On dirait des conspirationnistes en plein délire. Pourquoi ne pas ajouter la mort du bonhomme Lytvyn à votre liste? Et le mauvais temps des derniers mois? Et le réchauffement climatique, tant qu’à y être!
— Jean, continua Édouard, ce que nous avons entre les mains, c’est le scoop du siècle… Peut-être de toute l’histoire… »
Un ange passa. « Bon, dit Vallée. Je vois que votre petit projet a deux facettes. Pour ce qui est de la partie des magiciens maléfiques dans La Cité…
— Ce n’est pas ce que j’ai dit…
— Peu importe. Il reste que mettre ceci et cela sur le dos de mystérieux personnages, ce n’est pas de l’enquête, c’est de la spéculation. Tant que ces allégations ne sont pas supportées par un dossier en béton, vous pouvez oublier ça. »
Édouard resta coi, les lèvres pincées.
« L’autre facette, c’est tout ce qui entoure le défi de Randall James. Vu qu’on traite de vérification scientifique par un organisme reconnu, c’est une situation différente. Et en plus, apparemment, la station a déjà mis des sous dans ce projet-là… » Il lança un regard accusateur à Maude. « Écoutez, il va falloir que je jette un œil aux vidéos que vous avez ramenées. Si c’est à la hauteur, on va passer au comité pour parler budgets et personnel pour la préproduction du reste. Je vous reviens là-dessus dès que possible. »
Il ferma son cartable : la réunion était finie.

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