La soirée s’était
étirée jusqu’aux petites heures du matin, leur corps convergeant sans cesse,
chacun préférant la compagnie de l’autre au sommeil.
Ils avaient vécu comme
s’il n’y avait pas de lendemain... Mais demain arrive toujours.
L’alarme retentit,
suivie de grommellements. « Tu peux dormir encore, offrit Édouard.
— C’est correct,
répondit Félicia en baillant. J’ai beaucoup de choses à faire. Et toi? Pourquoi
l’alarme?
— J’ai un
rendez-vous », répondit-il, content qu’elle se satisfasse de cette
généralité.
Ils burent un café
comme des zombis, les yeux rivés sur leur téléphone, mais pendant qu’ils se
rhabillaient, ils eurent un nouveau moment de rires et de caresses, écho de
ceux de la veille.
Ils se dirent au
revoir et à bientôt, sourire aux lèvres. En la regardant s’éloigner avant de
rejoindre sa voiture, Édouard dut le reconnaître : tout cliquait avec
cette fille. Mais dès qu’elle tourna le coin, il se mit en mode boulot.
Édouard était assis
d’un côté de la table ovale d’une salle de réunion de CitéMédia. Maude Dansokho
était à sa droite, Nicolas Ioannis à sa gauche.
Jean Vallée prit place
de l’autre côté, ses lunettes de lecture remontées sur le front. « Salut,
Édouard. Content de te revoir. Nico m’a dit que tu avais quelque chose à me
vendre. Je ne suis pas certain d’avoir compris de quoi il s’agissait, au juste.
— Tu permets que je
commence par une petite mise en contexte? »
Jean ouvrit ses bras
en signe d’invitation. « Vas-y. Je t’écoute.
— Tout a commencé il y
a deux ans. J’ai découvert une situation inexplicable : quelqu’un ou
quelque chose avait effacé certains de mes souvenirs. »
Son entrée en matière
fit mouche : Vallée se montra immédiatement intéressé.
« Tu me
connais : je n’ai pas eu le choix de chercher à en savoir plus. De fil en
aiguille, tiens-toi bien, j’ai découvert que ce quelque chose avait pour origine une sorte de société secrète de
véritables magiciens. Pas des prestidigitateurs : des gens capables
d’affecter les autres grâce à des procédés surnaturels. »
Vallée se montra plus
dubitatif, mais il dit néanmoins : « Continue… » C’était un
signe clair que, même s’il ne travaillait plus pour CitéMédia, Édouard n’avait pas
perdu son capital de crédibilité auprès de ses anciens employeurs… Pas encore,
du moins.
« J’ai réussi à
remonter la piste jusqu’à l’un des Maîtres qui dirigent ce groupe. J’ai réussi
à l’impressionner, même si je bluffais à mort. Il a décidé de m’initier. »
Les bras croisés,
reculé sur sa chaise, Jean eut un rire sarcastique. « Ils t’ont donné une
baguette magique et assigné une maison?
— Non », répondit
Édouard, plus sérieux que jamais. « J’ai été séquestré. J’ai assisté à un
rituel masqué dans des catacombes, où on m’a menacé de mort et d’agression
sexuelle. » Malaise : le sourire de Jean disparut. « Après ce
jour, j’ai commencé à apprendre leur art. J’ai travaillé fort, plus que tu peux
imaginer.
— Ouais, je sais à qui
je m’adresse…
— Tu n’as pas idée.
Mais ça commence à porter fruit…
— Ce qui nous conduit
au point suivant, dit Nico. As-tu déjà entendu parler du défi Randall James?
— Éclaire-moi.
— En un mot : il
a promis un million de dollars à quiconque pouvait démontrer l’existence du
surnaturel ou du paranormal.
— Et c’est là que vous
me dites qu’avec les nouvelles connaissances d’Édouard, vous voulez relever le
défi.
— Non : c’est
déjà fait.
— Quoi?
— Tu sais, l’équipe
que j’ai mobilisée », dit Maude, « c’était pour couvrir la série de
tests par la Fondation Randall James. Nous avons des images de tout le
processus, du début à la fin, de même que des entrevues. Celle avec James est…
fantastique.
— Tu m’as menti!,
s’exclama Jean.
— Par omission. J’en
suis désolée. Mais j’en prends la totale responsabilité. »
Vallée frotta ses yeux
et sa barbe avec ses deux mains. « Qu’est-ce que vous attendez de moi?
— Je ne sais pas si tu
réalises, dit Édouard, mais tout cela a une portée immense. De un, le
surnaturel existe et je suis le premier à l’avoir démontré scientifiquement.
— Continue…
— De deux, il ne faut
pas oublier la base de tout cela : il y a des magiciens parmi nous, qui
sont capables de contrôler les pensées des gens. Il y a de quoi donner froid
dans le dos, non? »
Jean se gratta à
nouveau la barbe, pensif.
« Jean, tu ne
peux pas faire fi de toutes les étrangetés de La Cité des dernières années…
L’enquête d’Édouard explique tout. Les malades soudains, que les médecins ne comprennent
pas. Le culte de la Vieille-Gare. Les lumières dans le ciel du Centre-Sud.
Peut-être même l’explosion du Hilltown.
— Et
l’Orgasmik », ajouta Édouard. Tout le monde se tourna vers lui : même
ses alliés ne connaissaient pas encore cette information.
— Je pensais que
c’était ton grand frère, le caïd, dit Vallée.
— En fait, il était
dirigé par l’un des Maîtres. Il n’a pas inventé la formule, et il n’est pas
capable d’en produire par ses propres moyens. C’est parce que l’Orgasmik est un
procédé magique.
— C’est pratique, de
tout mettre sur le dos de la magie. Mais où sont les preuves? Vous êtes-vous
écoutés? On dirait des conspirationnistes en plein délire. Pourquoi ne pas
ajouter la mort du bonhomme Lytvyn à votre liste? Et le mauvais temps des
derniers mois? Et le réchauffement climatique, tant qu’à y être!
— Jean, continua
Édouard, ce que nous avons entre les mains, c’est le scoop du siècle… Peut-être
de toute l’histoire… »
Un ange passa.
« Bon, dit Vallée. Je vois que votre petit projet a deux facettes. Pour ce
qui est de la partie des magiciens maléfiques dans La Cité…
— Ce n’est pas ce que
j’ai dit…
— Peu importe. Il
reste que mettre ceci et cela sur le dos de mystérieux personnages, ce n’est
pas de l’enquête, c’est de la spéculation. Tant que ces allégations ne sont pas
supportées par un dossier en béton, vous pouvez oublier ça. »
Édouard resta coi, les
lèvres pincées.
« L’autre
facette, c’est tout ce qui entoure le défi de Randall James. Vu qu’on traite de
vérification scientifique par un organisme reconnu, c’est une situation
différente. Et en plus, apparemment, la station a déjà mis des sous dans ce
projet-là… » Il lança un regard accusateur à Maude. « Écoutez, il va
falloir que je jette un œil aux vidéos que vous avez ramenées. Si c’est à la
hauteur, on va passer au comité pour parler budgets et personnel pour la
préproduction du reste. Je vous reviens là-dessus dès que possible. »
Il ferma son
cartable : la réunion était finie.
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