Tobin partageait son
temps entre l’Agora, le Terminus et la Petite-Méditerranée. Lorsqu’il traînait
au Café Buzzetta, ses anciens collègues – enfin, ceux de Marco Kotzias –
semblaient le considérer davantage comme un convalescent que comme un soldat de
l’organisation Fusco. On l’accueillait comme un frère, on lui payait café, ouzo
ou grappa, mais on ne le mêlait pas aux affaires courantes. Il ne s’asseyait
jamais à la table de Pops pour parler business; lorsque celui-ci s’adressait à Marco, c’était accoudé au bar, pour
parler de la pluie et du beau temps.
Tobin ne souffrait pas
d’être ainsi écarté, au contraire : il profitait de son temps en marge
pour explorer les pensées des mafieux. De fil en aiguille, il disposait
maintenant d’un portrait complet des effectifs liés au café et, dans une
moindre mesure, du reste de La Cité. Malheureusement, aucun d’eux n’avait été
impliqué dans l’enlèvement et la séquestration odieuse de Martin. Il en était
venu à la conclusion qu’il était temps d’enquêter sur la garde rapprochée du
clan Fusco.
Les têtes pensantes ne
se mêlaient pas à la racaille; les chefs préféraient passer par des intermédiaires
comme Pops pour coordonner leurs forces. Il aurait été difficile pour Marco de rencontrer M. Fusco, à moins
d’avoir d’excellentes raisons… Mais c’était sans compter le nouvel outil dont
il disposait. En sachant comment infléchir le cours des pensées d’autrui, il
n’avait plus à convaincre personne.
Plus les paramètres sont précis, plus l’opération est facile,
disait Olson. Tobin se contenta donc d’implanter dans la tête de Pappas
l’importance capitale de lui organiser une rencontre avec Fusco. Deux jours
plus tard, Marco était convoqué à son
quartier général.
On le fouilla à
l’entrée, mais c’était sans importance. Sa vraie arme, c’était l’énergie
magique qu’Aizalyasni et Martin acheminaient jusqu’à lui.
On le guida jusqu’à
l’antichambre de Fusco, au dernier étage. Il fut quelque peu surpris d’y
trouver Guiseppe Cipriani.
« Marco, dit-il
en étreignant Tobin.
— Beppe.
— Content de te
revoir, dit-il avec une tiédeur qui contredisait ses mots. Comment va Melissa?
— Oh, tu sais… Pas
trop mal…
— Je l’ai croisée
l’autre jour, elle magasinait.
— Ah ouais?
— Oui. Je lui ai
demandé de tes nouvelles. Elle m’a dit qu’elle ne t’avait vu qu’une seule fois,
et encore, que c’était elle qui t’avait couru après. »
Marco avait été très
près de sa sœur Melissa, mais Tobin n’avait jamais eu l’intention de prendre sa
place et de vivre sa vie – autrement que pour servir ses propres projets. Il
haussa les épaules. « Si tu savais comment elle m’a engueulé, cette
fois-là… Ça m’a enlevé l’envie de recommencer. Pour l’instant. »
Beppe le scruta un
instant, dubitatif. Puis il haussa les épaules à son tour. Se doutait-il de
quelque chose? Si loin du Centre-Sud, lire les pensées demandait un certain
effort qui ne passerait pas inaperçu. Avant qu’il ait pu trouver une occasion
de le faire discrètement, la porte de Fusco s’ouvrit.
« C’est l’heure »,
dit le garde du corps en lui montrant le chemin. Beppe lui emboîta le pas.
Fusco était assis
derrière un bureau antique. Sans lever les yeux, il fit signe à Tobin de
prendre place. Il obéit; Beppe, quant à lui, resta debout juste derrière.
Fusco continua à jouer
de la plume pendant au moins trois minutes, après quoi il dit : « Bon.
Marco Kotzias. Notre revenant.
— Monsieur Fusco. Merci
d’avoir accepté de me rencontrer.
— Pops a beaucoup
insisté. Il m’a dit que tu voulais me parler de… Pommes pourries. »
Tobin n’avait rien dit
de tel; il s’était contenté de demander l’audience. Il se souvenait des
explications d’Olson à propos de l’implantation de pensées : son esprit va imaginer les détails. Tu ne sais jamais ce qu’il va inventer de
son côté.
Cipriani prit le
relais, forçant Tobin à se tordre sur sa chaise pour l’avoir dans son champ de
vision. « Paraît que tu penses que la frappe contre Abel Laganà, et ce qui
vous est arrivé, à Bruno, Luigi et toi, c’est relié. »
Fuck. Ça… il aurait préféré que Pops garde cette conversation pour
lui. Il avait lancé cette théorie pour secouer la cage pendant qu’il tâtonnait
pour trouver des failles dans la loyauté des hommes de Fusco. Au final, il y
avait bel et bien un lien : les Trois se trouvaient derrière ces deux
événements.
« Marco… »,
continua Beppe, en pressant sur ses épaules. « Pourquoi t’intéresses-tu au
cas de Laganà? »
Le contrôle de la situation
lui glissait des mains. « Monsieur Fusco, dit-il, est-ce que je peux vous
parler seul à seul? »
Profitant du fait que
Beppe lui tournait le dos, Tobin connecta avec le relais magique. Énergisé, son
esprit partit à la rencontre de celui de Fusco. Les tests d’Aizalyasni lui
avait permis de trouver la faille dans l’esprit de James, par laquelle elle pouvait
changer ses idées; celle de Fusco s’avéra autrement plus difficile à trouver.
Il réussit néanmoins à s’y insinuer. Seul
à seul, souffla-t-il directement à l’esprit de Fusco. C’est important.
« Laisse-nous »,
dit Fusco à Beppe.
La pression sur les
épaules de Tobin disparut d’un coup. Cipriani s’éloigna sans cacher son air
dubitatif, mais sans discuter non plus. Il sortit en fermant la porte derrière
lui.
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