dimanche 29 janvier 2017

Le Nœud Gordien, Épisode 455 : Failles, 2e partie

« Passons aux choses sérieuses », dit Tobin en se levant. L’envie de tordre le cou de Fusco séance tenante ne manquait pas. Maintenant qu’il était fusionné aux Trois, c’était lui aussi qu’on avait enlevé, torturé, assassiné. Mais avant de prendre sa revanche, il voulait comprendre.
Il s’insinua plus profondément dans la brèche spirituelle de l’homme. « Tu vas répondre à toutes mes questions. Pas de niaisage : tu me fais absolument confiance. Tu fais ce que je te dis.
— Oui, dit Fusco d’une voix traînante, comme s’il était à moitié endormi.
— Bon. Pourquoi tu t’acharnes sur nous autres? » Fusco fit non de la tête, la confusion peinte sur son visage. « Crache, bonhomme. »
Sans hésiter, Fusco tourna la tête et cracha littéralement sur le tapis. Ouais. Ça sera pas aussi facile qu’on croyait, pensa Tobin.
Il croit encore que tu es Marco, suggéra la voix de Timothée. ‘Nous autres’ réfère à…
Ça va, professeur, j’ai compris. « Qu’est-ce que tu as contre les gens du Centre-Sud
— Ils nous ont coûté beaucoup d’argent.
— À part toi, c’est qui, nous?
— Joe Gaccione. Mon associé. Tant que les rues grouillent de pouilleux, personne ne voudra acheter dans le quartier. C’est pourquoi il fallait faire un bon ménage. Puis vous vous êtes butés à cette sorcière. Il fallait l’éliminer. »
Tobin serra les dents. « Continue.
— C’est tes partenaires et toi qui ont eu le contrait. Tu connais la suite : on vous a retrouvés, lobotomisés. Les médecins n’ont pas été capables de dire ce qui vous était arrivé. Moi, je le savais : c’était encore cette foutue sorcière. Alors j’ai dit à Joe : oublie tes plans pour le Centre-Sud. Je ne suis pas un homme superstitieux, mais justement : ce n’est pas de la superstition lorsqu’on a la preuve sous les yeux. Persister aurait été stupide.
— Et après? »
Fusco haussa les épaules. « C’est resté comme ça un moment. Puis, un gars est venu cogner à ma porte. Il disait tout savoir sur le gang du Terminus. J’ai cru que j’aurais peut-être une nouvelle chance. 
— Ah ouais? C’était qui, ce gars-là?
— Un certain Rémi Bélanger. Il… » Rem!? Qui parle à Fusco? Le tabarnak. Sous le choc, Tobin ne capta pas le reste de la phrase, ni le début de la suivante. « …donc qu’elle n’était pas la seule à détenir pareils pouvoirs. C’est grâce à lui que nous avons appris que ces sorciers n’étaient puissants que dans le Centre-Sud, pour je-ne-sais quelle raison… Mais vu que l’enjeu de tout cela a toujours été le quartier, ces nouvelles informations n’ont fait que confirmer ma décision. 
— Qui d’autre est au courant, à propos des sorciers?
— Je ne voulais pas qu’on dise de moi qu’une petite Chinoise et ses amis clochards m’avaient fait reculer. À part Beppe et Joe, qui le savaient déjà, je n’en ai parlé à personne. À part ma femme. »
Tobin tressaillit. Ces dernières paroles exhumèrent un souvenir lointain. Abel n’avait-il pas mentionné madame Fusco, alors qu’ils étaient attablés dans son garage, avant que les jeunots se lancent dans leur assaut foireux? Comment avait-il pu l’oublier?
Il est vrai qu’à ce moment, Tobin souffrait encore de son incomplétude. De grands pans de sa vie demeuraient inaccessibles; il avait par ailleurs souvent été confondu par le caractère irréel de son quotidien, jusqu'à ce qu’il joigne la Trinité. Il était plausible que les détails de cette conversation aient été brouillés par l’intensité des événements qui avaient suivi.
À tout le moins, il touchait maintenant au but. « Quel est le lien entre ta femme et Abel Laganà?
— Ma femme me conseille depuis toujours. Récemment, elle s’est mis dans la tête de prendre plus activement part à ma business. » Il passa une paume sur son crâne en soupirant. « Tout ça, c’est à cause de Mélanie Tremblay. Lorsque ma femme a appris que sa rivale de toujours était à la tête de ce qui reste du clan Lytvyn, elle a décidé qu’il était temps de faire plus que donner son opinion. J’ai commencé à lui confier davantage de responsabilités, et j’ai mis quelques hommes à son service.
— Laganà?
— Oui. Il ne lui a pas fallu longtemps pour tout gâcher… Elle refuse de me dire ce qui s’est passé. Pourquoi ses hommes sont tous morts. »
Tobin haussa le sourcil. « Et tu acceptes ça? »
Fusco remonta ses lunettes. « Je ne suis pas capable de lui dire non. Elle est ma seule faiblesse… Je n’ai eu d’autre choix que d’étouffer cette affaire. »
Le cœur de Tobin battait à tout rompre. Les Trois avaient les réponses à toutes leurs questions. La responsabilité de Fusco s’avérait au final périphérique. Il avait rendu possible le calvaire de Martin… Mais il ne l’avait pas ordonné. Il n’en avait pas même eu conscience.
« Un instant, dit Fusco. Est-ce que les deux dossiers sont mêlés? Les sorciers et Laganà?
— Ne pense pas à ça. En fait, tu vas oublier toute cette conversation. On est cool, toi et moi. » Tobin s’insinua plus profondément dans la faille de Fusco, puis il mit son cerveau à off.
Le caïd s’affaissa sur sa chaise. Quelques secondes plus tard, il ronflait déjà.
Les Trois devaient maintenant décider de la suite.
C’est grâce à Fusco que Tobin avait pu, de son vivant, mener ses affaires en marge du clan Lytvyn. Face à son innocence – dans ce dossier, à tout le moins –, Tobin aurait été enclin à repartir sans lui infliger d’autre châtiment que celui qui ne manquerait pas de s’abattre sur son épouse.
Les manigances de cette femme avaient enlevé à Aizalyasni le père de son enfant. Œil pour œil, dent pour dent, homme pour homme : elle considérait que la mort de Fusco ne serait que justice.
Martin, qui pourtant était celui qui avait le plus souffert, suggérait une solution somme toute miséricordieuse. Il voulait qu’on implante dans l’esprit de Fusco la volonté de se réformer. Qu’il se livre à la police, qu’il déballe tout ce qu’il savait sur la pègre de La Cité!
Ce fut cette dernière position qui rallia les Trois.
Le cas de Fusco étant réglé, il fallait maintenant s’occuper de la véritable responsable. Et de ce Judas qui lui avait livré Martin sur un plateau d’argent…

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