dimanche 26 mars 2017

Le Nœud Gordien, épisode 463 : Gordium, 2e partie

Alexandre cogna sur la vitre et retint son souffle. Personne ne répondit. « Alors, on défonce?
— En plein jour? Quelle bonne idée, railla Édouard.
— Tu dis que notre ami passe ses nuits ici.
— Ça ne veut pas dire que nous n’aurons pas d’autres occasions…
Alexandre examina le voisinage. La palissade qui clôturait le terrain pouvait occulter une intrusion… Mais les maisons adjacentes étaient, elles aussi, construites sur deux étages. Il ne pouvait pas être certain que personne ne les verrait, mais il était prêt à prendre le risque. Il balaya le terrain des yeux, à la recherche d’une roche, une brique, quelque chose pour fracasser la porte…
Édouard proposa une meilleure idée. « La faiblesse des maisons modernes », dit-il en pointant l’unité de climatisation qui dépassait d’une fenêtre, un peu plus loin. En effet, il leur suffit de quelques minutes de manipulations pour gagner suffisamment de jeu pour la déloger, libérant du coup un passage. « Fallait y penser, dit Alexandre. On dirait que ce n’est pas ta première fois… »
Édouard lui offrit un sourire innocent avant de se glisser dans l’ouverture.

Le rez-de-chaussée était d’une parfaite banalité. Alexandre avait l’impression de se retrouver dans l’une de ces maisons-modèles que personne n’occupait plus longtemps que le temps d’une visite.
Une exploration rapide révéla que toutes les armoires étaient vides, à l’exception d’une d’elles qui contenait un couvert, un seul, ustensiles alignés à côté de la vaisselle.
« Regarde, dit Édouard : il n’y a rien dans le frigo. Littéralement rien! » On n’y trouvait même pas de ketchup ou de ces condiments impérissables qui demeuraient même lorsque le reste avait été mangé.
Alexandre haussa les épaules. « Y’a rien à voir ici. On va en haut? »
Édouard jeta un coup d’œil à son téléphone. « Ozzy n’a pas bougé. Let’s go! »
Ils montèrent l’escalier à pas de loup. Alexandre était tendu comme un ressort. Après tout, un autre procédé anti-intrusion pouvait les foudroyer à n’importe quel moment. Ou les transformer en crapauds…
Ils débouchèrent sur un corridor à trois portes. La première, droit devant, était entrouverte et révélait une salle d’eau. Son oncle choisit celle de gauche. Elle donnait sur une chambre à coucher non moins austère que les pièces d’en bas, avec comme seul ameublement un lit double fait au carré. Alexandre dirigea son attention vers le placard, mais il n’ trouva rien. « Y’a même pas un mouton de poussière là-dedans…
— Ça te surprend?
— Je voudrais avoir son truc. Chez moi, ils apparaissent trente secondes après le ménage.
— Ça doit être de la magie », répondit Édouard. Alexandre ne put dire s’il plaisantait ou pas.
« On perd notre temps », maugréa Alexandre, de plus en plus dépité. Il commençait à craindre que le risque qu’il avait pris si hardiment, dont il espérait tirer des réponses, s’avère au final un coup d’épée dans l’eau.
« Logiquement, dit Édouard, Gordon n’aurait pas installé le procédé à l’entrée s’il n’avait pas eu quelque chose à protéger…  
— Peut-être que ce n’est que pour lui permettre de dormir tranquille.
— Tu as peut-être raison… »
De retour dans le passage, les deux hommes entendirent un bruit derrière la troisième porte – une sorte de claquement. Craignant le pire, ils figèrent sur place.
Le claquement continua à intervalle irrégulier. « Je ne crois pas que ce soit quelqu’un », chuchota Édouard après un moment. Il tourna la poignée et poussa la porte. Il avait raison : un courant d’air s’insinuait par une fenêtre ouverte et faisait osciller le store, qui heurtait le mur à chaque coup de vent.
Cette nouvelle pièce montrait – enfin! – des signes clairs d’occupation… Mais pas ceux qu’Alexandre avait espérés. Il aurait voulu tomber sur des dossiers, des documents, un ordinateur, la précieuse cassette manquante; à la place, il se trouvait face à une machine à coudre, une pelote d’épingles, du cirage, des brosses, un panier débordant de guenilles noircies… L’atelier d’une couturière, et non l’antre d’un magicien centenaire.
« Pas surprenant que je n’aie jamais vu Gordon autrement qu’en complet », dit Édouard en examinant sa penderie. Elle débordait de vêtements nombreux mais peu divers : des vestons, des chemises, des chaussures élégantes… Un petit meuble coincé au fond du garde-robe contenait un tiroir de sous-vêtements identiques, un autre de chaussettes monochromes, un troisième d’accessoires classiques. Édouard désigna un col roulé noir. « C’est ce qu’il possède de plus excentrique.
— C’est un peu triste.
— Quoi, son style?
— Non… Tout ça », répondit Alexandre avec un mouvement désignant l’ensemble de la maison. « Gordon, l’un des Seize… Je me l’imaginais, je ne sais pas, avec le train de vie d’une superstar, capable de se permettre tout ce qu’il veut, quand il veut… J’ai l’impression que c’est le contraire… La vie la plus rangée, la plus ennuyante au monde? C’est pathétique…
— Moi, renchérit Édouard, je vois la maison d’un homme pour qui le travail est tout… La vraie vie, c’est dans son labo…
— Quand même… On dirait que son seul loisir, c’est de cirer ses chaussures… »
Alexandre étouffa un soupir frustré. Il avait été naïf dans son espoir de trouver une pièce à conviction capable de relier hors de tout doute Gordon à la mort de son père. Il regrettait d’avoir mêlé Édouard à cette aventure inutile.
— Reste à voir le sous-sol…
— Ouais », dit Alexandre, sans conviction.
En bas des marches, sans crier gare, Édouard l’agrippa et le plaqua brusquement contre le mur.
« Dude! Qu’est-ce qui te prend? »
Édouard lui signala de rester silencieux avant de pointer en direction des fenêtres du salon.
Une voiture de police était en train de se ranger devant la maison.

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