Beppe avait été plongé
dans une consternation peu commune lorsqu’il avait appris que Marco Kotzias
était devenu le bras droit de Pops, à la tête de la fronde des Grecs contre M.
Fusco.
Beppe ne doutait pas
un instant de l’issue du conflit. Ses ennemis étaient à la fois moins nombreux et
moins organisés. Il y avait toutefois de quoi se désoler des séquelles de cette
petite révolte. Fusco avait unifié les clans de la Petite-Méditerranée, il
s’était aussi assuré que tous vivent dans l’harmonie et la prospérité. Ce
temps-là était bien révolu; le chef en était réduit à se terrer avec sa femme
dans un endroit connu seulement de ses plus loyaux capitaines, menacé par des ennemis
qui, un mois auparavant, se disaient ses alliés.
Beppe et ses hommes
avaient déjà gagné quelques batailles contre les Grecs, mais pour lui, une
première vraie victoire serait d’éclater la tête de ce traître de Marco. Pour
Beppe, la loyauté importait plus que tout; il considérait comme une insulte
personnelle le fait qu’un de ses anciens hommes soit devenu un officier ennemi.
Une insulte qui demandait à être lavée dans le sang.
Lorsqu’une patrouille
signala la présence de Marco sur le boulevard La Rochelle, sa réponse fut
immédiate : « Laissez-le moi. »
Au volant de sa moto,
il s’empressa de se rendre jusqu’à lui, délaissant les voies de circulation
pour rouler directement sur la ligne, entre les voitures. Il arriva juste à
temps pour le voir tourner vers une bretelle de l’autoroute. Beppe donna un
coup de gaz et s’engagea à sa suite. Rien ne pourrait désormais empêcher sa vengeance.
Il ne restait plus qu’à
attendre le bon moment. Il fila consciencieusement la voiture, assez loin pour
ne pas être remarqué, une rage volcanique brûlant dans sa poitrine.
Marco prit une sortie
vers le Centre, et il se retrouva vite coincé par un feu rouge. Je te tiens, pensa Beppe en se faufilant
jusqu’à la fenêtre du conducteur, mitraillette à la main.
Il croyait pouvoir
profiter de la surprise, mais par quelque miracle, Marco l’avait détecté. Il le
désarçonna d’un coup de portière avant de s’éloigner sur les chapeaux de roues.
Un chapelet de
blasphèmes résonnèrent sous sa visière; il remonta en selle et se mit en
chasse.
Afin de le semer, Marco
brûla des feux rouges et alla même jusqu’à traverser un parc piétonnier, mais
rien ne pouvait arrêter Beppe. Marco décida enfin de s’arrêter et de lui faire
face. Grave erreur…
Les balles volèrent de
part et d’autre pendant que Beppe continuait son approche. Lorsqu’il comprit
que l’arme de Marco s’était enrayée, il sut qu’il avait gagné.
Il contourna la
voiture criblée de balles et se trouva face à face avec son ennemi. Comme il en
avait rêvé, il allait pouvoir le regarder dans les yeux lorsque son juste
châtiment s’abattrait sur lui… Il ne lui restait qu’à appuyer sur la gâchette…
Mais Marco leva les mains, et une explosion de lumière aveuglante l’engloutit.
Le temps de cligner
des yeux, le Centre-Sud avait disparu; il se tenait plutôt dans une petite
chambre d’hôtel sans fenêtre. Il demeurait en joue, mais il ne pouvait plus
bouger un muscle.
La sorcière du
Terminus se tenait devant lui, les bras croisés sous la poitrine.
Après un instant de
confusion, son esprit assembla les pièces du puzzle. Du coup, tout ce que cette
situation bourbeuse avait d’incompréhensible trouvait une explication. Marco s’est fait avoir par cette salope de
sorcière!
« Hey! On reste
poli! », dit la fille en levant le doigt comme une maîtresse d’école.
Tu peux entendre ce que je pense? Tiens, prends ça! Il lui balança
un torrent d’injures en trois langues capable de faire rougir un charretier.
Elle les reçut avec un sourire sans chaleur.
« Tant de haine…
Tu sais ce qui est ironique? C’est ton émotion qui t’a trahi. On peut la
percevoir à cent mètres à la ronde… Si un homme plus détaché, plus professionnel, s’était trouvé à ta
place, il aurait sans doute eu le temps de tirer avant qu’on l’ait découvert… »
Le commentaire ne fit
rien pour tempérer le feu qui lui dévorait les entrailles. Pendant un instant,
la fille plissa même les yeux, comme si elle pouvait le voir, comme s’il était
trop intense pour être regardé directement.
Tu as eu Marco… Comment? En le séduisant? En le soudoyant? En lui
jetant un sort? Mais moi, je ne
céderai pas. Jamais!
« Il ne faut
jamais dire jamais… » La Chinoise le scruta un moment, pendant lequel il
ressentit une pression croissante dans son crâne. Pour la première fois, l’effroi
se mêla à la haine.
« Fantastique :
tu sais où est madame Kingston… »
Madame? Qu’est-ce que tu veux
à la femme de Fusco?
« Ça t’étonne? Ce
n’est pas grave. Tu n’es qu’un outil pour nous. Et les outils n’ont pas besoin
de comprendre quoi que ce soit. Seulement d’accomplir leur fonction… »
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