Le concierge l’attendait à la grille du logement, les
sourcils froncés.
« Bonjour, Monsieur », lui dit Jean-Baptiste avec
sa politesse habituelle.
« Il paraît qu’on vous cherche », dit le concierge
sans préambule.
« On me cherche?
— Oui, vous et vos compères; une poignée d’hommes vous
cherchaient sur le parvis de l’hôtel. Sans
doute un mari cocu, j’en mettrais ma main au feu… »
Le concierge haussa un sourcil interrogateur alors qu’il
scrutait un Jean-Baptiste rougissant.
« Il réclamait haut et fort que le maraud responsable
de l’affront s’avance volontairement avant qu’il ne lui mette la main au collet… Un
gendarme l’a fait taire au nom de la paix publique, mais croyez-moi : il
aura tôt fait de revenir. J’ai cru comprendre qu’il s’agissait de quelque
affaire d’honneur…
— Je vous remercie pour votre discrétion; toute cette
affaire est sans doute un malentendu… » Jean-Baptiste remonta sur-le-champ
en affectant la nonchalance.
Les mots ne suffirent pas à tirer Narcisse du sommeil;
Jean-Baptiste dut secouer son ami pour le ramener dans un état de demi-conscience,
mais la simple mention du cocu en quête de rétribution le fit bondir sur ses
pieds, soudainement alerte.
En moins de cinq minutes, ils allaient à la rencontre de
Grégoire. Ils le trouvèrent accoudé quelque part entre leur résidence et la
sienne, une bouteille bien entamée à la main. Son maintien était chancelant et
son regard plutôt vague. Tout indiquait qu’il n’avait pas dormi depuis la
veille. Il accueillit ses amis en levant sa bouteille avant d’avaler une
généreuse lampée de vin.
« Mes frères! Oh, mes frères! Quelle glorieuse nuit
avons-nous vécue!
— Parle moins fort, je t’en prie! » Narcisse et
Jean-Baptiste lui saisirent un coude chacun pour le conduire sous une arche en
retrait de la voie.
« Qu’avez-vous donc avec ces airs d’enterrement? Vous
n’en avez pas eu assez? Allez! Il m’en reste assez pour nous en trouver deux
cette fois!
— Tu la fermes un instant? », dit Narcisse sur un ton
dur. « De toutes les filles de Paris, il fallait que tu choisisses une
femme mariée!
— Le cocu est à nos trousses; il s’en est fallu que de la
retenue du concierge pour qu'il nous ait déjà trouvés!
— Et puis?
— Il déclare à qui veut l’entendre qu’il cherche réparation!
— Qui me cherche, me trouve! Il verra de quel bois je me
chauffe, ce cornard! »
Jean-Baptiste aurait donné cher pour disposer d’un seau
d’eau à verser sur la tête du pochard. « Grégoire, cette affaire ne
t’implique pas seulement. Laissons le bruit courir, il ne retentira jamais
autant qu’un coup de feu…
— Vous croyez que je voudrais me soustraire à un duel?
— Non seulement je le crois, mais au nom de notre amitié, tu
dois le croire aussi. Nous ne somme pas dans le roman d’un feuilletoniste, et
Dieu peut être autrement plus cruel qu’un auteur envers ses protagonistes…
— D’autant plus que nous sommes les antagonistes : si
Dieu nous juge, il nous trouvera coupable », ajouta Narcisse.
Le mot avait été lancé comme une goguenardise d’athée, mais
il fut reçu plus gravement par les deux autres. Grégoire parut enfin moins
gris; il ajusta sa cravate avant d’épousseter les saletés que son veston avait accumulées durant cette longue nuit. Il posa
les mains sur l’épaule de ses deux complices. « Vous avez raison. Bien sûr
que vous avez raison. Nous avons agi sans réfléchir; nous devons maintenant
faire mieux. Nous aurions dû savoir qu’en la laissant repartir, le scandale était
inévitable… »
Narcisse et Jean-Baptiste échangèrent un regard, étonnés par
l’allusion de Grégoire. Peut-être pour ramener la discussion sur un terrain
plus acceptable, ce dernier ajouta : « Nous n’avons guère le
choix : il faut quitter Paris! »
Jean-Baptiste soupira. Il n’était pas né outre-Atlantique ou
en Russie; il ne voulait pas migrer, mais de quel autre choix disposait-il? « Et
où irons-nous?
— Mais c’est évident », répondit Narcisse avec énergie.
« Ah oui?
— Certes! J’ai la preuve que je cherchais depuis
toujours : j’ai été témoin d’un phénomène prodigieux. Je ne connaîtrai le
repos que lorsque j’en aurai retracé l’origine… Cette potion a été fabriquée
quelque part, par quelqu’un; il nous faut le trouver! »
Grégoire avait déjà retrouvé sa jovialité avinée.
« Excellent! Partons tout de suite! Nous n’avons pas une minute à perdre…
Allons chercher nos papiers discrètement, nous pourrons faire livrer nos malles
une fois rendus là-bas!
— Un instant », interrompit Jean-Baptiste. « Tu
sais où trouver plus de ce liquide?
— Celui qui me l’a vendu a fait allusion à son fabriquant…
Je vous raconterai… Mais nous disposons d’un nom et d'un lieu!
— Quels sont-ils?
— Le lieu : l’Andalousie!
— Et le nom?
— Khuzaymah… »
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