dimanche 24 juillet 2011

Le Noeud Gordien, épisode 180 : Les disciples, 3e partie

Jean-Baptiste ouvrit l’œil aux premières aurores, ne sachant trop s’il avait rêvé ou vécu la veille. Narcisse dormait encore en ronflant dans son lit à moitié défait de leur chambre commune. Après une heure ou deux dans un demi-sommeil fiévreux, la faim gagna sur la fatigue : il descendit à son café habituel en comptant attraper en cours de route une pâtisserie capable de satisfaire son estomac grondant.
Le concierge l’attendait à la grille du logement, les sourcils froncés.
« Bonjour, Monsieur », lui dit Jean-Baptiste avec sa politesse habituelle.
« Il paraît qu’on vous cherche », dit le concierge sans préambule.
« On me cherche?
— Oui, vous et vos compères; une poignée d’hommes vous cherchaient sur le parvis de l’hôtel.  Sans doute un mari cocu, j’en mettrais ma main au feu… »
Le concierge haussa un sourcil interrogateur alors qu’il scrutait un Jean-Baptiste rougissant.
« Il réclamait haut et fort que le maraud responsable de l’affront s’avance volontairement  avant qu’il ne lui mette la main au collet… Un gendarme l’a fait taire au nom de la paix publique, mais croyez-moi : il aura tôt fait de revenir. J’ai cru comprendre qu’il s’agissait de quelque affaire d’honneur…
— Je vous remercie pour votre discrétion; toute cette affaire est sans doute un malentendu… » Jean-Baptiste remonta sur-le-champ en affectant la nonchalance. 
Les mots ne suffirent pas à tirer Narcisse du sommeil; Jean-Baptiste dut secouer son ami pour le ramener dans un état de demi-conscience, mais la simple mention du cocu en quête de rétribution le fit bondir sur ses pieds, soudainement alerte.
En moins de cinq minutes, ils allaient à la rencontre de Grégoire. Ils le trouvèrent accoudé quelque part entre leur résidence et la sienne, une bouteille bien entamée à la main. Son maintien était chancelant et son regard plutôt vague. Tout indiquait qu’il n’avait pas dormi depuis la veille. Il accueillit ses amis en levant sa bouteille avant d’avaler une généreuse lampée de vin.
« Mes frères! Oh, mes frères! Quelle glorieuse nuit avons-nous vécue! 
— Parle moins fort, je t’en prie! » Narcisse et Jean-Baptiste lui saisirent un coude chacun pour le conduire sous une arche en retrait de la voie.
« Qu’avez-vous donc avec ces airs d’enterrement? Vous n’en avez pas eu assez? Allez! Il m’en reste assez pour nous en trouver deux cette fois!
— Tu la fermes un instant? », dit Narcisse sur un ton dur. « De toutes les filles de Paris, il fallait que tu choisisses une femme mariée!
— Le cocu est à nos trousses; il s’en est fallu que de la retenue du concierge pour qu'il nous ait déjà trouvés!
— Et puis?
— Il déclare à qui veut l’entendre qu’il cherche réparation!
— Qui me cherche, me trouve! Il verra de quel bois je me chauffe, ce cornard! »
Jean-Baptiste aurait donné cher pour disposer d’un seau d’eau à verser sur la tête du pochard. « Grégoire, cette affaire ne t’implique pas seulement. Laissons le bruit courir, il ne retentira jamais autant qu’un coup de feu…
— Vous croyez que je voudrais me soustraire à un duel?
— Non seulement je le crois, mais au nom de notre amitié, tu dois le croire aussi. Nous ne somme pas dans le roman d’un feuilletoniste, et Dieu peut être autrement plus cruel qu’un auteur envers ses protagonistes…
— D’autant plus que nous sommes les antagonistes : si Dieu nous juge, il nous trouvera coupable », ajouta Narcisse.
Le mot avait été lancé comme une goguenardise d’athée, mais il fut reçu plus gravement par les deux autres. Grégoire parut enfin moins gris; il ajusta sa cravate avant d’épousseter les saletés que son veston avait  accumulées durant cette longue nuit. Il posa les mains sur l’épaule de ses deux complices. « Vous avez raison. Bien sûr que vous avez raison. Nous avons agi sans réfléchir; nous devons maintenant faire mieux. Nous aurions dû savoir qu’en la laissant repartir, le scandale était inévitable… »
Narcisse et Jean-Baptiste échangèrent un regard, étonnés par l’allusion de Grégoire. Peut-être pour ramener la discussion sur un terrain plus acceptable, ce dernier ajouta : « Nous n’avons guère le choix : il faut quitter Paris! »
Jean-Baptiste soupira. Il n’était pas né outre-Atlantique ou en Russie; il ne voulait pas migrer, mais de quel autre choix disposait-il? « Et où irons-nous?
— Mais c’est évident », répondit Narcisse avec énergie.
« Ah oui?
— Certes! J’ai la preuve que je cherchais depuis toujours : j’ai été témoin d’un phénomène prodigieux. Je ne connaîtrai le repos que lorsque j’en aurai retracé l’origine… Cette potion a été fabriquée quelque part, par quelqu’un; il nous faut le trouver! »
Grégoire avait déjà retrouvé sa jovialité avinée. « Excellent! Partons tout de suite! Nous n’avons pas une minute à perdre… Allons chercher nos papiers discrètement, nous pourrons faire livrer nos malles une fois rendus là-bas!
— Un instant », interrompit Jean-Baptiste. « Tu sais où trouver plus de ce liquide? 
— Celui qui me l’a vendu a fait allusion à son fabriquant… Je vous raconterai… Mais nous disposons d’un nom et d'un lieu!
— Quels sont-ils?
— Le lieu : l’Andalousie!
— Et le nom?
— Khuzaymah… »

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