À son tour, elle prit son bagage à
main. Elle dépassa l’agente de bord qui lui adressait un au-revoir accompagné
d’un sourire fatigué pour s’engager vers la sortie.
Même si on ne sortait d’un avion que
pour entrer dans l’aéroport, et malgré le caractère générique de l’un et de
l’autre, Félicia ressentait un frisson d’excitation au moment où elle remettait
les pieds à terre. Depuis ses tout premiers voyages jusqu’à aujourd’hui, le
retour au bercail donnait à ce frisson une saveur particulière, comme si tout
son corps lui disait finie
l’errance : te voilà chez toi.
Elle suivit les flèches qui la
guidaient dans les dédales familiers de l’aéroport de La Cité jusqu’au
carrousel où ses bagages lui seraient bientôt livrés. Son temps à Tanger lui
avait fourni une perspective fascinante sur ce qu’elle avait cru connaître de
son art; son temps à Ko Samui lui avait plutôt permis de se ressourcer… de se
retrouver.
Dans le bunker de Kuhn, elle n’avait
pas pu communiquer librement avec l’extérieur; une fois libérée, elle avait décidé de continuer à voler sous le
radar. Personne ne savait où elle était, avec qui, à faire quoi. Personne
n’avait pu l’appeler, vu que son abonnement ne desservait ni le Maroc ni le
sud-est asiatique; Polkinghorne lui récemment envoyé quelques courriels lui
demandant avec une insistance grandissante d’entrer en contact avec lui. Elle
avait choisi de les ignorer. Son intention de s’offrir de vraies vacances avait
été rigoureusement respectée.
Le moment béni arriva : le
carrousel se mit en marche. Son bagage apparut parmi les premiers. Félicia ne
put réprimer un sourire en revoyant comment elle l’avait différencié de la
masse des autres valises noires sur roulettes. Trois jours plus tôt, un Rory
trop enthousiaste avait déchiré la couture de la bretelle de son haut de bikini
favori. Elle lui avait donné une nouvelle vie en le nouant à la poignée de sa
valise.
Leur épisode de passion charnelle
s’était conclu par un dénouement parfait. Les deux semblaient pressentir le
passage des premiers moments magiques vers les automatismes qui caractérisaient
la vie d’un couple confirmé. Le moment de se dire au-revoir s’était présenté
pile au bon moment.
Elle roula jusqu’au guichet des
douanes. Elle n’avait rien à déclarer – avec les millions de Batakovic et
l’accès sans réserve aux comptes secrets de son père, profiter des taux de
change ou des aubaines hors-taxe n’en valait pas la chandelle. On estampilla
ses papiers et elle continua vers les barrières qui séparaient l’aire de
débarquement de la zone publique.
Elle fut surprise de reconnaître
Polkinghorne qui l’y attendait – elle n’avait pas plus informé ses proches de
son retour que du reste de ses vacances. Plus étrange encore, lorsqu’elle le
salua avec un sourire et un mouvement enjoué, il se contenta de répondre d’un
mouvement sec de la tête. Elle remarqua alors qu’il n’était pas seul.
Gianfranco Espinosa se tenait cinq pas derrière. Qu’est-ce qu’il fait là, lui? Un spectateur l’aurait cru absorbé
par la lecture d’un journal, mais Félicia se doutait qu’il ne s’agissait que
d’un leurre.
Tout ceci était de mauvais augure,
mais Félicia n’eut d’avait choix qu’avancer en ligne droite. Son sourire
disparu, c’est plutôt les sourcils froncés qu’elle arriva au niveau des deux
hommes. « Qu’est-ce qui se passe?
— Suis-moi. Et je te prie de garder
le silence à partir de maintenant. »
L’air grave arboré tant par son
maître que par son ex la convainquit d’obtempérer.
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