dimanche 15 avril 2012

Le Noeud Gordien, épisode 216: Témoignage, 1re partie

Dès que l’avion s’immobilisa et que les voyants s’éteignirent, les passagers se levèrent comme un seul homme. Certains caressaient l’espoir de sortir plus vite, d’autres simplement pour dégourdir leurs jambes confinées au même petit espace depuis de longues heures déjà. Félicia comptait parmi ceux, rares, qui étaient demeurés assis jusqu'à ce que les portes soient ouvertes.
À son tour, elle prit son bagage à main. Elle dépassa l’agente de bord qui lui adressait un au-revoir accompagné d’un sourire fatigué pour s’engager vers la sortie.
Même si on ne sortait d’un avion que pour entrer dans l’aéroport, et malgré le caractère générique de l’un et de l’autre, Félicia ressentait un frisson d’excitation au moment où elle remettait les pieds à terre. Depuis ses tout premiers voyages jusqu’à aujourd’hui, le retour au bercail donnait à ce frisson une saveur particulière, comme si tout son corps lui disait finie l’errance : te voilà chez toi.
Elle suivit les flèches qui la guidaient dans les dédales familiers de l’aéroport de La Cité jusqu’au carrousel où ses bagages lui seraient bientôt livrés. Son temps à Tanger lui avait fourni une perspective fascinante sur ce qu’elle avait cru connaître de son art; son temps à Ko Samui lui avait plutôt permis de se ressourcer… de se retrouver.
Dans le bunker de Kuhn, elle n’avait pas pu communiquer librement avec l’extérieur; une fois libérée, elle avait décidé de continuer à voler sous le radar. Personne ne savait où elle était, avec qui, à faire quoi. Personne n’avait pu l’appeler, vu que son abonnement ne desservait ni le Maroc ni le sud-est asiatique; Polkinghorne lui récemment envoyé quelques courriels lui demandant avec une insistance grandissante d’entrer en contact avec lui. Elle avait choisi de les ignorer. Son intention de s’offrir de vraies vacances avait été rigoureusement respectée.
Le moment béni arriva : le carrousel se mit en marche. Son bagage apparut parmi les premiers. Félicia ne put réprimer un sourire en revoyant comment elle l’avait différencié de la masse des autres valises noires sur roulettes. Trois jours plus tôt, un Rory trop enthousiaste avait déchiré la couture de la bretelle de son haut de bikini favori. Elle lui avait donné une nouvelle vie en le nouant à la poignée de sa valise.
Leur épisode de passion charnelle s’était conclu par un dénouement parfait. Les deux semblaient pressentir le passage des premiers moments magiques vers les automatismes qui caractérisaient la vie d’un couple confirmé. Le moment de se dire au-revoir s’était présenté pile au bon moment.
Elle roula jusqu’au guichet des douanes. Elle n’avait rien à déclarer – avec les millions de Batakovic et l’accès sans réserve aux comptes secrets de son père, profiter des taux de change ou des aubaines hors-taxe n’en valait pas la chandelle. On estampilla ses papiers et elle continua vers les barrières qui séparaient l’aire de débarquement de la zone publique.
Elle fut surprise de reconnaître Polkinghorne qui l’y attendait – elle n’avait pas plus informé ses proches de son retour que du reste de ses vacances. Plus étrange encore, lorsqu’elle le salua avec un sourire et un mouvement enjoué, il se contenta de répondre d’un mouvement sec de la tête. Elle remarqua alors qu’il n’était pas seul. Gianfranco Espinosa se tenait cinq pas derrière. Qu’est-ce qu’il fait là, lui? Un spectateur l’aurait cru absorbé par la lecture d’un journal, mais Félicia se doutait qu’il ne s’agissait que d’un leurre.
Tout ceci était de mauvais augure, mais Félicia n’eut d’avait choix qu’avancer en ligne droite. Son sourire disparu, c’est plutôt les sourcils froncés qu’elle arriva au niveau des deux hommes. « Qu’est-ce qui se passe?
— Suis-moi. Et je te prie de garder le silence à partir de maintenant. »
L’air grave arboré tant par son maître que par son ex la convainquit d’obtempérer. 

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