dimanche 3 mai 2015

Le Nœud Gordien, épisode 368 : Cire chaude, 2e partie

Hill descendit les marches, encore étonné par son œuvre instantanée. Les trois qui étaient un le suivirent, sans dire un mot. L’homme au pistolet, quant à lui, choisit de demeurer en haut.
Le couloir dans le trou était devenu une grande pièce au plancher de marbre, lambrissé de boiseries, telle qu’il l’avait voulue. La malléabilité de ce lieu était une véritable merveille au potentiel infini.
« Est-ce… Tricane qui a créé cet endroit? » Il utilisait le nom un peu à l’aveuglette. Il lui était apparu au cœur de la masse d’information que la metascharfsinn lui avait révélée, dont les détails s’estompaient d’ailleurs un peu plus à chaque seconde.
Les trois acquiescèrent.
« Savez-vous comment elle s’y est prise? » Ils répondirent par un non de la tête simultané. « Quels interlocuteurs loquaces vous faites…
— Au moins, nous, nous répondons à tes questions », rétorqua le jeune homme… Timothée.
Hill haussa le sourcil. Ah : ils attendent encore que je précise la nature de cette œuvre dont je leur ai parlé. « Touché », répondit-il. « Avez-vous exploré ces couloirs?
— Un peu », dit la fleur d’Orient Celle-là, il n’avait pas retenu son nom, aussi exotique que son apparence. Elle semblait suivre la conversation à moitié, plus intéressée à scruter le mur. Elle posa les mains sur les boiseries et pressa, comme pour tester leur solidité. Sans surprise, la surface résista.
Ses deux collègues la rejoignirent. Les trois se positionnèrent en triangle et levèrent les mains, synchronisés comme un corps de ballet. Hill sursauta : une étincelle était apparue entre les paumes de chacun. Le sol trembla; Hill agrippa la rampe de laiton, stupéfié. Une nouvelle vague de l’odeur délicieuse envahit la pièce alors que le mur du fond retrouva la consistance de la cire chaude.
Un nouveau couloir apparut derrière, plutôt fruste comparé à la pièce créée par Hill : un simple passage de béton, éclairé bien qu’aucune source lumineuse ne soit visible, qui menait à une pièce plus grande… Les trois passèrent de l’autre côté, à la queue leu leu.
Hill avait mal compris la nature du lien qui unissait ces trois-là… Ils n’étaient pas sur le seuil de la metascharfsinn : ils l’avaient déjà traversé. Mais comment? Harré avait su le guider vers cette acuité supérieure en s’appuyant sur une vie de pratique acharnée et de discipline mentale… Ces jeunots avaient une maîtrise sans commune mesure avec leur expérience. Il y avait de quoi être jaloux… Mais surtout, inquiet.
Personne n’est en sécurité lorsque des enfants jouent avec de la dynamite.
Il s’engagea prudemment à leur suite dans l’ouverture.
Les trois s’affairaient à aménager le nouvel espace, le sourire aux lèvres et les yeux écarquillés… Une grande salle commune prenait forme, meublée de tables et de chaises, avec un dais à son extrémité… des portes de chaque côté menaient à des dortoirs à lits superposés… Hill aperçut que le plus vieux des trois – Martin – travaillait sur une grande cuisine…
Personne ne semblait plus lui porter attention. Il retourna au pied de l’escalier. L’homme au pistolet n’était plus visible en haut des marches.
Il s’engagea dans le couloir au dallage méditerranéen qui reprenait juste au-delà de la pièce qu’il avait créée. Une odeur vint titiller ses narines. Une odeur à la fois familière et nouvelle…
Harré lui-même n’avait pas réussi à expliquer pourquoi Hill percevait la magie via l’olfaction – ou même ce qui expliquait que, pour lui, les diverses manifestations du surnaturel possédaient une odeur distincte. Pour sa part, c’était difficile d’imaginer comment les autres pouvaient percevoir les choses sans cette dimension qui était pour lui si caractéristique…
Le nez en l’air, il s’engagea dans les méandres souterrains. L’odeur devint de plus en plus nette à chaque détour, assez pour la reconnaître… Mais ce qu’il percevait était absurde dans ce contexte.
Ça sent le Maroc. Plus précisément… La source tellurique que Harré avait créée à Tanger…
L’odeur le conduisit jusqu’à une zone sombre où le couloir se transformait en grotte. Quelques pas plus loin, il émergeait du souterrain.
Il ne s’était pas trompé. Le ciel noir, la végétation tropicale, mais l’odeur, surtout l’odeur… Cette géniale Tricane avait déformé l’espace d’une manière complètement inédite.
S’il pouvait découvrir comment elle s’y était prise, s’il pouvait à son tour ouvrir d’autres voies vers les Cercles de par le monde… À courte échéance, le rêve qu’il partageait avec Harré pouvait devenir réalité.

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