Sous l’eau. Édouard
était sous l’eau! Il se débattit
comme un forcené, en proie à une terreur associée aux pires des cauchemars. Il
n’avait aucune idée comment il avait abouti dans cette situation, mais une
chose était sûre : il ne rêvait pas!
Submergé dans la
flotte, bousculé par le courant, incapable de discerner le haut et le bas…
Ouvrir ses yeux ne l’aida pas; de un, l’eau était opaque; de deux, elle brûlait
autant qu’un mélange de vinaigre et de décapant.
Il aurait voulu crier,
mais crier, c’était ouvrir la bouche; ouvrir la bouche, c’était se noyer…
Son épaule frotta du
béton; c’était déjà quelque chose, un point de repère. Au prix d’un effort, il
fit pivoter son corps et poussa avec ses pieds. Sa tête émergea; ce n’était
peut-être pas encore une victoire, mais c’était à tout le moins repousser la
défaite.
Il inspira goulument,
seulement pour s’étouffer : quelques gouttelettes fétides s’étaient
rendues à sa bouche. Il toussa et cracha en luttant pour garder son assise
contre le courant.
Il se trouvait dans
une sorte d’égout bétonné à ciel ouvert, dont le débit laissait croire qu’il s’agissait
aussi d’un ruisseau. Une odeur horrible régnait sur les lieux.
Édouard aperçut une
sorte d’échelle métallique encastrée à même le mur un peu plus loin. Il
sautilla jusque-là, porté par le flot, jusqu’à ce qu’il puisse l’agripper et
enfin se tirer de là. Ses vêtements étaient alourdis par les saletés qu’ils
avaient épongées.
Une fois sorti du
canal, il se laissa rouler au sol. L’herbe mouillée laissait croire qu’il avait
plu tout récemment. De gros nuages gris
roulaient dans le ciel au-dessus, suggérant que l’accalmie n’était que
momentanée.
Ce n’est qu’après ce
moment de décompression que la question s’imposa enfin : Qu’est-ce que je fous ici?
Il se redressa et
inspecta les environs. À sa connaissance, les bourgeons du printemps n’avaient pas
encore montré leur verdure, mais la végétation qui l’entourait était
luxuriante. Plus encore, elle était composée d’espèces qui n’avaient rien en
commun avec celles de La Cité… Chaque détail sur lequel il s’attardait ajoutait
une nouvelle incongruité. L’air humide, un brin salin… Des klaxons de voiture retentissaient
au loin, trop aigus et trop fréquents…
Il aperçut une page de
journal prise dans un buisson quelques pas plus loin. La page détrempée se
déchirait au moindre contact, mais il réussit en libérer un pan assez large
pour pouvoir en lire quelques mots écrits en espagnol. En espagnol!?
Il resta sur place à
dégouliner pendant plusieurs secondes, complètement éberlué.
Sa première pensée
cohérente fut de consulter son téléphone pour tenter d’éclaircir une part du mystère,
à tout le moins découvrir la date, avec un peu de chance sa localisation.
Sa seconde pensée fut oh non. Son téléphone avait été immergé
avec lui. Sans surprise, il en était ressorti bousillé : il ne s’allumait
même plus.
« Okay. Okay. Pas
de panique », dit-il à voix haute dans l’espoir de juguler la terreur qui
menaçait de lui faire perdre la tête. « De quoi tu te souviens? Le grand
rituel. Le dôme rouge sur la ville. Le feu bleu et le pied du pauvre Arie.
Ensuite… J’ai reconduit Félicia. »
Déclic. Hill. Leur discussion dans le non-espace
blanc. Seriez-vous disposé à m’offrir une
faveur en échange de considérations futures?
Cette faveur, c’était
de lui permettre une nouvelle séance d’écriture automatique de manière à
compléter ce qu’il avait commencé : transmettre la marche à suivre pour
lui permettre de sortir de son purgatoire.
Édouard avait accepté
de lui prêter son bras. Il avait bien compris que les faveurs et les secrets
étaient la monnaie d’échange entre initiés; il était bien content de commencer
à construire son propre capital.
Une fois le marché
conclu, il s’était éveillé dans le grenier. Il était descendu dans l’atelier de
Félicia et avait tracé sur son avant-bras le symbole que Hill lui avait
enseigné.
C’était son tout
dernier souvenir.
Édouard roula sa
manche. Le symbole y était encore, quoiqu’à moitié effacé, sans doute lessivé à
l’eau d’égout. En l’inspectant de plus près, il réalisa que quelqu’un l’avait
retracé après lui.
Une esquisse
d’explication prit enfin forme dans son esprit… D’une façon ou d’une autre,
Hill ne s’était pas contenté d’habiter la main d’Édouard : il l’avait
possédé tout entier, tant que le symbole était demeuré intact.
Édouard frissonna. Il
l’avait échappé belle… Que serait-il devenu si la possession avait duré… Si l’encre
du symbole avait été tatouée, par exemple? Aurait-il fini comme Frank dans
Alice, un passager impuissant dont on aurait à peine pu dire qu’il existât?
Le frisson se
transforma en tremblement nerveux. Il ferma les paupières et se força à
respirer profondément pour tenter de retrouver une mesure de calme. Petit à
petit, la méditation fit son effet.
Il soupira une
dernière fois avant de rouvrir les yeux. Une rangée de poteaux électriques
était visible un peu plus loin; jugeant qu’il s’agissait d’un fil d’Ariane vers
les habitations les plus proches, Édouard la choisit comme premier objectif. Il
ne se trompait pas : un chemin de terre le longeait. Il se mit en marche
vers la gauche, en direction du bruit ténu des klaxons, priant pour que la
pluie vienne rincer ces immondices dont il était imprégné avant qu’il ne
rencontre quiconque.
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