dimanche 20 mars 2016

Le Noeud Gordien, épisode 412 : Mesquin, 3e partie

Avramopoulos s’emmerdait un peu.
Il avait proposé d’accompagner Derek Virkkunen, qui était toujours à la recherche d’un nouveau site pour son futur projet artistique qui devait prendre la forme d’une installation urbaine. Il valait mieux s’éloigner du Centre-Sud, dangereux de diverses façons…
Ses prospections l’avaient amené dans le même quartier où Avramopoulos avait aménagé ses catacombes. Derek était complètement absorbé par une rangée d’entrepôts de taille modeste. Avramopoulos n’avait aucune idée de ce qui se passait dans la tête de l’artiste, mais il ne doutait pas de sa capacité à transformer cet endroit des plus ordinaires en quelque chose de merveilleux.
Un son électronique vint déranger la contemplation de Derek. Avramopoulos soupira. Comme il détestait ces appareils! Plus personne ne semblait capable de passer une minute sans jeter un coup d’œil à son téléphone. Pas même Derek…
« Urgence au QG. Il va falloir continuer une autre fois… 
— En route, alors », répondit Avramopoulos, content de passer à autre chose. « J’espère que ce ne sera pas pour rien… »

La nouvelle tomba comme une tonne de briques, de la bouche de la jeune Lytvyn. « Gordon a été arrêté à l’aéroport, à notre arrivée. Des reporters étaient sur place. Il est possible que son image circule déjà…
— Sous quel prétexte? », demanda Van Haecht.
« Trafic et production de drogues », répondit Latour. Un ange passa; tout le monde était abasourdi. Sauf Avramopoulos, bien entendu. Deux ans auparavant, avant même qu’il ne déclare sa présence dans La Cité, il avait espionné les faits et geste de Gordon avec beaucoup d’attention… Enfin, pas directement : c’était Hoshmand qui avait découvert le petit hobby de Gordon. À ce jour, toutefois, Avramopoulos n’avait pas encore réussi à comprendre en vue de quoi. Ce n’était certainement pas pour arrondir ses fins de mois qu’il avait mis l’Orgasmik en circulation…
Gordon, Gordon… Dans quoi es-tu allé te fourrer, par ta maladresse?
« Qu’est-ce qui te fait sourire comme cela? » Il fallut un instant à Avramopoulos pour comprendre que c’était à lui que la blondasse s’adressait.
« Qu’est-ce que c’est que cette question? Je sourirai quand je voudrai!
— Qui sourit face au malheur des autres?
— Oh, je ne doute pas que tu rirais bien si c’était moi qui étais à sa place… »
Lytvyn signifia son incrédulité avec une mimique brusque, dramatique, exaspérée. « Tout le monde ici a été surpris d’apprendre les chefs accusations. Tout le monde… Sauf toi. »
Avramopoulos ricana devant cette connerie. Il n’aurait jamais dû permettre à Polkinghorne de lui enseigner quoi que ce soit. Son rire figea toutefois lorsqu’il remarqua que les autres s’étaient tournés vers lui, les sourcils froncés, le regard aiguisé… « Quoi? Vous ne la prenez pas au sérieux, tout de même? »
Le silence fut éloquent.
« C’est vrai que tu as réagi étrangement », dit Mandeville d’une voix incertaine.
Ces damnées pétasses. Elles faisaient front commun, ou quoi? Avramopoulos sentit l’indignation gronder en lui. « Eh bien, si j’avais eu quelque chose à me reprocher, ne croyez-vous pas que j’aurais été capable de cacher mon jeu? » Il se maudit dès que les paroles eurent quitté ses lèvres. Si j’étais coupable, je ferais mieux n’était pas la meilleure défense.
 « Allez mon vieux », dit Latour, « dis-nous que ce n’est pas toi qui est derrière cette histoire, et nous allons te croire…
Je ne devrais pas avoir besoin de vous le dire! », explosa-t-il. Il se leva si énergiquement que sa chaise tomba à la renverse. « Et vous laissez cette impertinente m’insulter devant tout le monde? La belle affaire! J’exige qu’on me respecte! » Son coup de colère avait balayé le concile d’un vent de malaise. Tant mieux. Il n’avait pas terminé…
« Ceux qui vous ont précédé auraient honte de vous voir… Vous pensez reconstruire l’école de Munich simplement parce que vous logez au même endroit? Laissez-moi vous le dire, une fois pour toutes : vous n’arrivez pas à la cheville des gens du Collège, ou des Seize d’antan. Vous croyez que le Grand Œuvre fait de vous des grands hommes? La vérité, c’est que vous êtes tous des êtres mesquins. Méprisables. Il est temps que je vous montre ce dont est capable un Maître. Un vrai. » Il fit signe à Derek et à Polkinghorne. « Allons-y. »
L’artiste lui emboîta le pas, mais l’autre resta de marbre. Les bras croisés, les lèvres pincées, il regardait droit devant lui. Il ajoute l’insulte à l’injure, après tout ce que j’ai fait pour lui. J’en ai fini avec lui. C’est un sot et un ingrat, rien de plus.
Il marcha vers l’ascenseur avec une lenteur solennelle. La rage ne bouillait plus en lui; elle avait été remplacée par quelque chose de glacial, d’implacable. Il était temps de laisser derrière ces minables et leurs enfantillages : il avait cette histoire d’accusations et de journalistes à régler. À propos…
« Où est Gauss?
— Je ne l’ai pas vu au QG depuis quelques jours », répondit Derek.
« Trouve-le. Je vais avoir besoin de lui… »

1 commentaire:

  1. Bonjour,
    Du temps, des mots, et l'histoire passe.
    Comme des bouteilles à la mer, celles-ci partent et s'échouent au gré des marrées.
    Une vague m'apporte ce poste, et je l'en remercie pour ce bon moment.
    Cordialement

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