dimanche 8 octobre 2017

Le Nœud Gordien, épisode 491 : La magie révélée, 5e partie

Le Maître sortit de sa poche un papier qu’il déplia soigneusement. Il le tourna ensuite vers la caméra pour révéler un symbole cabalistique. « Imprimez ce symbole dans votre esprit. Concentrez-vous sur lui. Je vais maintenant réaliser une série de mouvements. Vous allez les mémoriser parfaitement du premier coup. Une fois que j’aurai complété ma routine, vous la ferez à votre tour. Vous », dit-il en désignant les gardes du corps et le technicien, « faites en sorte que personne ne puisse m’interrompre.
— Ne l’écoutez pas! » dit Édouard à la salle. Il voulut se lever, mais le technicien s’interposa, menaçant.
« Au contraire, rétorqua Gordon. Assurez-vous que tout le monde puisse m’entendre. Levez le volume de votre télévision. Dites à votre entourage de venir voir. Écoutez-moi… Et faites ce que je vous dis. Un », dit-il en prenant une posture. « Deux… » Il effectua ainsi une séquence rapide de neuf mouvements complexes. À la grande surprise d’Édouard, une bonne proportion de l’auditoire se leva dès qu’il eut fini. Tous répétaient précisément le moindre geste montré par Gordon…

« Ça ressemble à l’espèce de messe que j’ai vue au Terminus… », dit Maude, abasourdie. « Qu’est-ce qu’on fait avec ça, Jean? Jean? » Maude tourna la tête pour voir son patron debout, lui-même en train de répéter les mouvements avec une expression stupéfaite, comme s’il était le premier surpris par ses actions.

Raymonde était avachie sur son fauteuil, les jambes appuyées sur les épaules de Maurice, qui s’en donnait à cœur joie à grands coups de langue et de doigts. Maintenant que son mari James travaillait au Terminus, elle avait le champ libre pour recevoir son amant à volonté… Insatiable, il se pointait trois ou quatre fois par semaine avec une bouteille de fort et une poignée de pilules jaunes, et elle le laissait s’amuser avec sa chair abondante. Sentant poindre un orgasme – naturel celui-là, par-dessus l’autre, chimique, qui rayonnait encore dans son bas-ventre –, elle ne prêtait qu’une attention distraite à la télévision allumée un peu plus loin… Jusqu’à ce qu’une voix irrésistible lui dise Écoutez-moi bien.
« Maurice… Faut que t’écoutes », dit-elle en écho aux instructions de l’homme à la télé. Mais son amant, entièrement dévoué à sa tâche, n’entendait rien d’autre que le frottement de ses grosses cuisses contre ses oreilles. Elle n’avait guère l’habitude de se lever de son fauteuil sans aide, mais lorsque l’homme lui commanda de mimer ses gestes, elle dut obéir. Elle posa un pied sur le sol, puis un autre. Croyant peut-être qu’elle se dégourdissait, Maurice ne ralentit pas la cadence d’un iota, se contentant d’ajuster sa position pour continuer de plus belle. Elle se redressa en geignant, puis, au prix d’un effort dont elle ne se croyait plus capable, elle se hissa sur ses pieds.
« Que c’est qu’tu fais là? », demanda Maurice. C’était au tour de Raymonde de l’ignorer, concentrée sur la télévision, sur la tâche à accomplir. Chaque mouvement effectué par l’homme était buriné dans son esprit, tout comme le symbole qu’il avait montré à l’écran. Elle entreprit la séquence, mais le deuxième mouvement la déséquilibra : elle bascula vers l’avant pour s’affaler sur son amant. Elle ne s’appartenait plus; debout ou couchée, elle n’avait d’autre choix que continuer, ignorant les poussées désespérées du pauvre Maurice coincé sous elle. Lorsqu’elle entendit l’homme de la télé dire « Répétez la séquence. Continuez. Coûte que coûte », elle éclata en sanglots d’impuissance.
Éventuellement, Maurice cessa de se débattre.

Le technicien qui barrait le chemin d’Édouard avait une expression sans équivoque : il n’attendait qu’un faux mouvement pour devenir violent. Il aperçut toutefois que Claude et ses hommes s’apprêtaient à passer à l’action, leur arme déjà dégainée. « Gordon! », cria Édouard. Le Maître se tourna vers lui. « C’est fini. Rends-toi.
— Oh, au contraire, ça ne fait que commencer… » Son expression se décomposa. Son visage s’éclaira d’un sourire fou; ses yeux s’écarquillèrent… Ce changement, Édouard ne l’aperçut qu’une fraction de seconde : l’instant d’après, Gordon s’était volatilisé.
Au même moment, un bourdonnement électrique tonna dans les écouteurs, si puissant que tous ceux qui en portaient – dans la régie et sur le plateau – durent se les arracher d’urgence. L’éclairage clignota, puis flancha; le chaos s’empara de la salle. Les lumières d’urgence qui prirent le relais éclairèrent un tableau chaotique, où ceux qui tentaient de quitter leur siège étaient bloqués par d’autres qui continuaient la boucle des mouvements de Gordon.

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