dimanche 22 octobre 2017

Le Nœud Gordien, épisode 493 : L’œuvre suprême, 1re partie

Dès que Gordon disparut, le technicien qui bloquait à voie à Édouard s’en désintéressa pour se mettre à gesticuler à son tour.
Alexandre, Claude et les deux agents en civil accoururent. L’un d’eux, un vétéran moustachu, demanda à Claude : « Boss… Veux-tu bien me dire qu’est-ce qui vient de se passer, là? 
— Je sais que ce ne sera pas facile à croire, mais cet homme est un puissant magicien. Un vrai de vrai. »
Le moustachu jeta un regard vers la salle chaotique. « Ouais, ok, répondit-il avec un sang-froid étonnant. Ça explique bien des choses. »
Les pensées d’Édouard défilaient à une vitesse folle. Gordon, l’un des Seize, avait fait son coming out occulte en direct à la télé. D’une manière ou d’une autre, il avait réussi à hypnotiser une bonne partie de la foule… Mais pourquoi? « Tout ça… Ce n’est pas un objectif en soi. Ce n’est qu’un moyen.
— Qu’est-ce que ça peut être?, demanda Alex.
— Je ne sais pas. Mais il avait les yeux fous de Harré. Il faut craindre le pire… Peu importe ce qu’il tente d’accomplir, il faut l’arrêter. »
Alexandre allait rétorquer, mais Claude déclara, d’un ton sans appel : « Avant toute chose, on sort d’ici. »
L’évacuation de la salle s’était mise en branle, entravée par ceux qui continuaient d’obéir aux instructions de Gordon. « Suivez-moi, dit Édouard. On passe par les coulisses. » Il attrapa la cage d’Ozzy qui crailla, indigné d’encore s’y trouver, puis il guida ses alliés jusqu’à une sortie de secours.
La lourde porte se referma derrière eux. À l’extérieur, ceux qui n’avaient pas été admis à l’émission étaient en proie à la même compulsion que les autres spectateurs. « What the fuck?, lança Alexandre. Comment Gordon a pu affecter tout ce monde-là en même temps?
— Je ne pensais pas que c’était possible, répondit Édouard.
— Alors, va falloir lui demander, dit le moustachu. Comment on le retrouve, votre magicien? »
Édouard avait une petite idée. Il posa un genou par terre et libéra Ozzy. L’oiseau prit son envol et décrivit un cercle au-dessus de leurs têtes avant de revenir se poser sur le poing d’Édouard. « Peux-tu retrouver Gordon, mon trésor? » La corneille croassa quatre fois et s’envola de nouveau – direction sud.
« Let’s go!, dit Alexandre.
— Non, pas toi, réagit Édouard.
— Hein? Pourquoi?
— Parce que Gordon a menacé ma famille. Peut-être qu’il ne travaille pas seul. Peut-être que Geneviève et les filles sont en danger. Je ne peux pas prendre ce risque. Je veux que tu te rendes chez elle, que tu les amènes toutes les trois dans un endroit sûr, et que tu ne les perdes pas de vue tant que tout cela n’est pas réglé, ok? 
— J’appelle des renforts », dit l’autre agent. C’était un homme à la carrure solide, poilu comme un ours à l’exception du crâne, lisse comme une boule de quille. « Pas de réception. Tous les réseaux sont kaput – même les services d’urgence.
— Va falloir qu’on se démerde seuls, dit Claude. En passant, je vous présente le lieutenant Caron et le sergent Thibeault. » Édouard et Alex leur serrèrent la main. « Thibeault, tu vas avec Alex. Toi, Jean-Marie, tu viens avec nous.
— Bonne chance, dit Alex. Faites attention à vous. 
— Toi aussi. » Édouard et ses deux alliés s’engagèrent sur la piste qu’Ozzy leur indiquait.

Une grappe de gens occupaient un carrefour plus loin sur leur chemin. « Eux autres, ils ne sont pas là par hasard », déclara le lieutenant Caron. En effet, si les flâneurs étaient légion dans la zone-tampon entre le Centre et le Centre-Sud, ceux-ci montaient ostensiblement la garde, plusieurs avec une arme à la main. Ozzy les avait déjà dépassés; il attendait patiemment son maître, perché sur un fil électrique.
« Va falloir créer une diversion si on veut continuer. Jean-Marie, tu vas aller te positionner à l’est. Dans cinq minutes, tu vas crier Police! Jetez vos armes!, tout en gardant tes distances. Surtout, reste à couvert. Nous, continua-t-il en s’adressant à Édouard, nous allons approcher par l’ouest. En passant par la ruelle, là-bas, on va pouvoir ressortir derrière eux. Avec un peu de chance, personne ne nous verra.
— Je vais m’assurer que tout le monde regarde de mon mon bord », dit Caron. Il ne semblait pas fâché de se frotter à un peu d’action. « Puis après?
— Après, tu te rends au poste le plus près et tu vas chercher des renforts. »
Il acquiesça, résolu. « Let’s go. »
Le plan fonctionna à merveille. Lorsque le cri se fit entendre, les soldats de fortune se planquèrent, craignant une fusillade. Deux d’entre eux détalèrent carrément. Édouard et Claude se faufilèrent sans être inquiétés, pendant que Caron continuaient à leur crier des ordres d’une voix autoritaire, mais sans jamais se montrer. À la sortie de la ruelle, ils durent prendre un détour pour éviter de s’exposer aux vigiles. Ozzy les rejoint en croassant, comme pour leur dire qu’ils se trompaient de chemin. Ils aperçurent au loin que d’autres carrefours étaient barrés, mais tout indiquait qu’ils avaient traversé le blocus. Ils redoublèrent de vigilance en continuant d’avancer.
Chaque pas qui le rapprochait du Centre-Sud accentuait chez Édouard une sensation analogue à celle du plongeur qui descend trop vite dans les profondeurs… La sensation lui rappelait celle qu’il avait ressentie lorsqu’il avait fait l’erreur de méditer dans la maison d’Avramopoulos et de Virkkunen, dans le Centre-Sud. Ce jour-là, il avait failli y rester, démoli par l’énergie radiesthésique trop concentrée… Cette fois était pire encore. L’air en était saturé au point qu’il la goûtait presque sur sa langue, une viscosité écœurante qui se ressentait par l’âme plutôt que par les sens usuels…
Ozzy tourna à droite sur une artère familière : le boulevard St-Martin. Ils suivirent l’oiseau…
…et ils aperçurent, deux-cent mètres plus loin, trois figures nimbées d’un halo chatoyant, au beau milieu de la rue déserte. Édouard reconnut Harré, Gordon, et… 
« Geneviève? »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire