dimanche 30 novembre 2014

Le Nœud Gordien, épisode 348 : Drainer le Cercle, 6e partie

Asjen Van Haecht passa la tête dans l’espace-cuisine où Édouard jouait au marmiton. « T’es demandé au troisième! 
— Pourquoi?
— Ne pose pas de question! », dit-il en s’en allant.
Édouard était le seul initié en-dessous d’Asjen dans la hiérarchie. Le dernier fils Van Haecht ne manquait pas une occasion d’exercer son autorité sur lui. Édouard s’essuya les mains et descendit au troisième.
Les Maîtres et leur entourage avaient quitté leurs postes de travail pour se masser autour de celui d’Avramopoulos. Un bref calcul lui montra que tous les initiés s’y trouvaient, même Polkinghorne. Celui-ci s’était fait discret après sa prise de bec publique.
Édouard ignorait la nature précise des travaux de chacun, mais il avait ressenti la montée d’une certaine fébrilité au cours des dernières quarante-huit heures, peut-être parce que le projet était sur le point d’aboutir; à voir l’expression des gens autour de lui, il devina que c’était maintenant chose faite.
« Tout le monde est là », dit Avramopoulos en remarquant l’arrivée d’Édouard. Les conversations se turent. « Les préparatifs sont complétés », déclara-t-il ensuite. « Nous sommes prêts à passer à l’action. » Quelques applaudissements se firent entendre; Avramopoulos les fit taire d’un mouvement de la main. « Il est trop tôt pour se réjouir. Même si nous avons préparé le rituel avec minutie, l’exécution présente certains défis. Personne ne devrait oublier que si nous accomplissons le procédé trop près du Cercle de Harré, un contrecoup dévastateur est presque assuré. Et s’il est trop loin, l’effet souhaité sera amoindri au point d’échouer à le drainer. »
Un coup d’œil d’Avramopoulos à Olson lui indiqua que c’était à son tour de prendre la parole. Il fit un pas en avant en balayant l’assistance du regard. « Latour et moi sommes arrivés à une conclusion claire : l’effet du rituel sera optimal si nous nous dispersons sur plusieurs sites plutôt que tous travailler à partir d’un seul.
Édouard remarqua Van Haecht faire la moue et Mandeville s’agiter, plus encore que d’ordinaire. Ceux-là auraient préféré un rituel centralisé.
Olson fit un signe à Pénélope. Elle alla fixa une carte de La Cité au tableau. La zone empoisonnée avait été jaunie au crayon marqueur. Édouard n’avait pas réalisé son envergure : elle débordait largement du Centre-Sud. Avramopoulos marqua au feutre cinq points autour de la zone. « Selon nos calculs, cinq équipes disposées en pentacle représente probablement la configuration optimale…
Probablement!? », cracha Mandeville. Elle sursauta, comme si son exclamation l’avait elle-même surprise. Elle lissa ses vêtements à deux mains, le visage rougissant à vue d’œil. Elle continua toutefois avec beaucoup plus d’aplomb que son langage non verbal pouvait le laisser présager. « Vous continuez à jouer avec des forces qui vous dépassent! Avez-vous oublié l’explosion du Hilltown? »
Le visage d’Avramopoulos devint un masque de dédain. « C’était l’anathème qui… 
— Que ce soit l’anathème ou Paicheler elle-même qui ait causé le contrecoup, quelle importance? Vous passez à côté de l’essentiel : l’explosion du Hilltown a été causée par une seule personne. Et si, plutôt qu’être canalisée, l’énergie radiesthésique s’embrase et vous pète au visage… Quelles seront les conséquences pour vous? Pour ceux dans le Cercle? »
Un silence malaisé s’ensuivit. Avramopoulos bouillait, les poings serrés.
Félicia toussota. Les regards se tournèrent vers elle. « Personne ne savait que le Hilltown se trouvait dans la zone radiesthésique… Ce procédé est très différent. De un, nous serons en marge du Cercle. De deux, ma contribution au projet est un nouveau procédé capable de disperser l’énergie avant que le contrecoup n’apparaisse. »
Mandeville semblait se débattre avec elle-même pour trouver quoi répondre à cela.
« Catherine », dit Gordon d’une voix douce, « nous avons pris tous les moyens pour diminuer les risques. Si nous ne faisons rien, d’autres innocents risquent d’être terrassés par l’énergie empoisonnée, sans que la médecine ne puisse faire quoi que ce soit pour eux… » Mandeville semblait tendue comme la corde d’un arc, son expression affolée. Édouard avait l’impression qu’il aurait suffi d’un son soudain ou d’un mouvement brusque pour qu’elle détale comme un lapin. « Nous avons besoin de toi. Penses-y, Catherine… Qu’est-ce que Madeleine aurait voulu? »
Édouard présuma que cette Madeleine était le prénom de Paicheler, la victime du Hilltown. Les yeux de Mandeville s’embuèrent; ses lèvres tremblantes peinaient à retenir un sanglot. Édouard aurait cru la chose impossible, mais l’expression de dédain d’Avramopoulos s’accentua encore. L’émotion ne dura qu’un instant, après quoi Mandeville se ressaisit. « D’accord. 
— Poursuivons », hissa Avramopoulos.
Les Maîtres discutèrent ensuite des détails de l’exécution du rituel, prévu pour minuit le lendemain, après quoi l’assemblée se dispersa. La constitution des cinq équipes ne se fit pas sans heurts. Édouard ne put s’empêcher de s’interroger sur la capacité de ces gens à agir en coordination. Et de se demander si les craintes de Mandeville n’avaient pas été balayées un peu trop vite…

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